Schizophrenia, c'est un peu le Requiem for a dream du tueur fou (mais responsable, comme nous l'indique le rapport psychatrique final). Requiem for a dream aurait d'ailleurs été un joli titre pour ce film, qui accumule avec un humour glacial une successions de fantasmes dont la mise en œuvre se casse irrémédiablement la gueule dans la scène qui suit.
La comparaison avec le film d'Aronofsky me semble inévitable, les deux films prennent le parti de subjectiviser leur mise en scène, multipliant les effets afin de coller, semble-t-il, aux aléas de conscience de leurs personnages. Ils se partagent d'ailleurs certaines trouvailles, comme ce système perturbant de caméra fixée au protagoniste, qui rend compte du personnage centré et fixe tandis que l'espace dans lequel il évolue tangue à en vomir. Schizophrenia, 20 ans avant Aronofsky, va plus loin encore en couplant à cet effet un mouvement circulaire à 180 degré autour de son personnage qui se rase dans sa cellule.
Mais là où Requiem for dream use et abuse d'effets visuels de plus en plus appuyés au cours de son déroulement, cherchant à transmettre au spectateur le vertige qui frappe ses protagonistes sous l'emprise de la drogue, Schizophrenia fonctionne autrement, et plus intelligemment.
Ici les séquences "subjectives" sont clairement identifiées. Elles comprennent cette introduction toilettage, l'échange de regards en très gros plans avec les filles dans le café, et plus discrètement mais non moins remarquablement (vous me suivez ?), cette ellipse impliquant un viol ou une tentative de viol escamoté par une coupe au montage, épousant la mémoire de notre tueur, défaillante sous ses accès pulsionnels. Toutes ces scènes nous placent dans une situation où nous subissons une narration altérée par l'état mental du personnage.
A l'inverse, la contre-plongée quasi constante qui capte les faits et gestes du meurtrier installe le spectateur dans une position de jugement (divin ?), et par extension d'acteur à part entière. Car l'angoisse à laquelle le personnage répond par cette colère meurtrière (Angst, titre original), seule soupape de décompression de son esprit en souffrance, c'est avant tout ce regard écrasant qui semble la lui provoquer. L'effet est particulièrement frappant lorsqu'il visite l'étage de la maison pour la première fois, la voix-off soulignant sa peur, lorsqu'il était enfant, d'être seul dans une pièce. Paniqué, fouillant les chambres armé de son couteau, il semble moins repérer les lieux que nous chercher nous, sans cesse collés à lui, très proches, trop proches, écrasants. Il y a quelque chose de la culpabilité kafkaïenne (juive ?*) dans ce processus, omniprésente mais impalpable, partout pesante sans jamais pouvoir être combattue.
Cette culpabilité dont le rapport psychiatrique final nous dit que le tueur n'y est certainement pas sensible comme on la connait, ce n'est pas celle ressentie après les meurtres, non, le personnage nous annonce d'ailleurs clairement qu'il ne peut pas avoir pitié de ses victimes. C'est celle qui presse sur sa nuque en amont de ses crimes. C'est la caméra en plongé, et par extension notre regard à nous. Cette part "active" du spectateur donne au film une force singulière, et qui vaut à elle seule de tenter l'expérience.
En sus, les acteurs sont excellents, et la photo, froide et austère, n'en est pas moins très belle et étonnamment homogène pour un film dont on imagine le budget serré.
Mais le point qui finit de faire de ce Schizophrenia un incontournable au goût unique, c'est la musique de Klaus Schulze. Oui oui, le mec de Timewind, Body Love et autre Irrlicht, qui a bercé mon adolescence de ses nappes électro hallucinées, entre Kraftwerk et Tangerine Dream... Oui, c'est totalement subjectif, et le culte que je voue au bonhomme m'a surement fait passer un moment plus agréable que la décence l'aurait voulu devant Schizophrenia.
* Dans sa correspondance avec sa traductrice tchèque et fugitive maitresse Milena Jesenská, Kafka évoque cette culpabilité juive assez sérieusement. D'où qu'elle provienne, mythe ou réalité (pas sûr que la religion juive s'appuie plus que d'autres sur la culpabilité, quoi qu'en dise Freud), elle a très certainement nourrie l’œuvre de l'écrivain pragois, mêlée à celle qu'il éprouvait vis à vis de son père, et de sa première fiancée éconduite à l'aube de leur mariage : Felice Bauer. Cette minute culture vous est offerte par l'amicale pour la défense des lémuriens non-circoncis.