Abstention !
Après le désespoir absolu, donc la lucidité, d'Adieu les cons, qui lui a valu un très joli nombre de spectateurs ainsi qu'une belle moisson de César, Albert Dupontel s'enlise bizarrement dans une...
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le 26 oct. 2023
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Il faut quand même oser être Albert Dupontel, l’air de rien…
…Et quand je dis ça, je fais bien évidemment référence à la manière dont cet homme a décidé de forger son identité d’auteur.
Parce que – tout de même – depuis son tout premier film Bernie, on sent à quel point le bonhomme se montre attaché à cette culture du cartoon et de la farce grinçante qui ne sont pourtant clairement pas les registres les plus évidents à manipuler, surtout dans le microcosme très codifié du cinéma français.
Et pourtant, Albert Dupontel y est allé, il y a persisté, et très rarement, il en a dérogé.
Sur désormais huit longs-métrages, il n’y a peut-être eu qu’avec Au revoir là-haut que le gars a pris ses distances avec son style nerveux et presque potache.
Mais d’un autre côté, pour cette seule fois où il s’est risqué en dehors de sa formule habituel, Dupontel avait décidé de mettre en avant une caractéristique de son œuvre que, jusqu’à présent, il ne relayait qu’au second plan. Ce trait saillant c’est cette élégie qu’il aime régulièrement composer en faveur de ces êtres trop tendres pour un monde trop dur. C’est goût pour la tragédie des incompris. Cette reconnaissance à l’égard des rêveurs que notre société maltraite…
En cela Au revoir là-haut était donc une exception sans en être une. Plus qu’un changement de thèmes, il s’agissait-là davantage d'un rééquilibrage des curseurs.
D’ailleurs, difficile depuis de ne pas avoir vu dans les films qui ont suivi une volonté de trouver un équilibre nouveau ; un équilibre parfait où cartoon, farce satirique et tragédie pourraient coexister de pair.
C’était déjà ce qui avait été tenté, à mon sens, avec Adieu les cons. C’est encore le cas pour ce Second tour.
…Et comment dire…
…Disons que c’est… osé.
Oh ça oui, je le trouve osé ce Second tour, parce que l’air de rien, c’est quand même un exercice d’équilibriste assez casse-gueule.
On va parler de politique, de pouvoir, de compromission… Mais en parallèle de ça on va le faire sous le ton de la boutade, de la fable guillerette et des couleurs orange criardes dignes de la dernière adaptation du roman pour ados lambda...
Ah ça oui : que c’est culotté…
…C’est culotté, mais étonnamment ça marche. Du moins ça marche dans un premier temps.
Ç’en serait presque ma première source de fascination à l’égard de ce film. Je suis parvenu à y croire et à rentrer dedans assez facilement. Et à dire vrai je ne saurais même pas dire comment ça a été possible.
Alors certes, je pense que la connaissance des codes dupontéliens aide beaucoup. Mais on ne saurait aussi retirer au film sa capacité à tout de suite attirer notre attention sur ce qui est dit et ce qui est montré. Les mots employés ne sont pas anodins. On identifie tout de suite les références. On ne s’étale jamais inutilement sur les situations. C’est à la fois suffisamment simple et clair pour qu’on reste dans la fable accessible, mais en même temps suffisamment bien ciblé et piquant pour que la satire fasse effet.
A cela s’ajoute une réalisation volontairement dynamique et ostensible dans ses intentions afin de favoriser la fluidité et la générosité de la chose.
L’alternance rapide entre approche sérieuse et approche guignolesque aide à faire coexister entre elles ces deux dimensions.
Enfin, l’originalité de l’angle choisi pour ce genre d’intrigue participe à faire le reste.
Ah ça, il n’y a pas à redire : indéniablement, il y a un vrai savoir-faire qui est ici mobilisé.
Seulement voilà, quand bien même j’ai su apprécier ce film jusqu’à son terme que, malgré tout, j’ai en permanence ressenti que quelque chose me bloquait dans mon élan ; comme une voiture de course roulant avec les freins…
…Et je pense que tout cela tient au fait que – malgré un savoir-faire réel – il m’apparaisse compliqué de vouloir faire cohabiter des approches aussi antinomiques que la blague, la tragédie, la satire et le cartoon.
Je ne dis pas que c’est impossible parce que, dans son ensemble, ce film démontre qu’un équilibre plus ou moins précaire peut être trouvé…
…Mais voilà, concernant ce Second tour, je trouve quand même que ça reste précaire.
Cette précarité, pour moi, elle vient du fait que, pour que notre suspension consentie d’incrédulité se maintienne, il est nécessaire pour Dupontel d’entretenir au maximum l’aspect factice de son univers.
La crédulité du spectateur, Dupontel ne peut la préserver que s’il reste dans le registre de la fable. Pour faire passer les grosses ficelles qui raccordent l’ensemble, il faut entretenir un cadre dans lequel le réalisme, la vraisemblance et la subtilité ne sont pas la norme.
Aussi, quand bien même cette photo criarde, cette musique mièvre et cette mise-en-scène très boursoufflée se révèlent-elles indispensables au cadre défini par l’auteur, qu’elles n’en restent pas moins des subterfuges criards, mièvres et boursoufflés…
…Et moi, ça, c’est le genre de choses qui ne m’aident pas.
Ça m’aide d’autant moins que tout ça finit par mener vers une drôle de résolution, pour le moins assez grossière, et qui peut nous amener à interroger la subtilité d’ensemble.
Parce qu’en effet – et à bien tout prendre – je ne peux m’empêcher de trouver dans ce Second tour les mêmes défauts que dans le précédent film de l’auteur : Adieu les cons.
Sous prétexte de cartoon satirique et de fable potache, Dupontel se contente souvent d’un tragique de bas-étages construit sur une colère au fond assez primaire.
« Ah ce monde de merde ! Ces politiques corrompus ! Ces friqués qui ne respectent rien… »
Et franchement, encore heureux qu’on ressente une vraie générosité dans la démarche et une vraie tendresse dans ses personnages – je pense notamment aux réussites que constituent ces grands enfants que sont les personnages incarnés par Nicolas Marié et Bouli Lanners – parce que sinon ce genre de film aurait très vite pu dégringoler vers une forme de manifeste pompeux qui n’a pas la profondeur de ses prétentions.
(…Ce qu’il est quand même un peu.)
Au final, me concernant, ça passe quand même… Mais j’avoue que ça passe juste. Ça passe même de plus en plus juste, me dis-je, au regard des deux derniers films que nous a produits ce bon Albert.
Alors du coup, oui, je salue l'audace et j'apprécie que l'envie semble toujours aussi présente. Mais attention pour Dupontel a ne pas vouloir trop multiplier les tours afin d'expérimenter tous les équilibres possibles de son étrange formule, car à vouloir trop oser, il risque d'user.
Il serait dommage qu'un auteur aussi généreux que lui finisse par lasser...
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le 26 oct. 2023
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