Les 4 vérités
Senses n’est pas à probablement parlé une série, pourtant c’est ainsi qu’elle a été présentée. On y suit le quotidien et les choix de quatre amies vivant à Kobe, au Japon. Une ode au besoin imminent...
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le 6 mai 2018
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Au premier plan apparaît une image de qualité étrange. Du numérique c'est sûr. Une caméra un peu datée ? A moins que ce ne soit juste ce ciel blanc qui me repousse ? Ne jugeons pas en 1 minutes Encore que souvent l'impression de la première minute est celle qui se confirme jusqu'au générique de fin. Arrive un pic-nic avec quatre femmes proche quarantaine. C'est pas terrible. Elles rient de pas grand-chose. Je parle pas japonais mais je suis pas sûr que ce soit bien joué. Il reste 2h20 ça va être compliqué, là.
Elles se séparent. Rien de bien palpitant mais ne pressons pas l'agacement.
Elles se retrouvent pour un atelier. Ridicule. Mais mes jambes ne répondent plus.
Ah! Vous non plus vous n'aimiez pas votre vie du début ? Et vous trouvez enfin à vivre juste en touchant un inconnu ?
Senses est de ces films que je respecte le plus: ceux qui arrivent à contrecarrer un a priori négatif et même un rejet des premières minutes. Oui, on est sur du quotidien banal. Non il n'y a pas d'intrigue et ce n'est pas dynamique.
Outre l'exotisme, pour moi petit français qui découvre encore des codes sociaux étrangers, en occurrence ceux de trentenaires qui boivent un coup, il y a un traitement un peu inexplicable qui prend. Ainsi une scène de restaurant prend une bonne trentaine de minutes et nous aspire dans les confidences. Les champ-contrechamps classiques deviennent face caméra et comme les nouveaux congénères autour de cette table sans fioriture, nous aussi on veut en savoir plus. Nous aussi on a vécu cette scène ridicule mais diablement tactile, où les regards des inconnus se lisent d'une traite, tout comme le regard de nos personnages sur ces inconnus, et cette métaphysique mine de rien nous a rapproché d'elles. Il s'agit d'un délire bobo japonais inintéressant, sûrement, blanc et froid et d'une lenteur plombée; mais ça marche, comme on dit. Alors je reste.
C'est un plaisir de cinéma rare et difficile à obtenir pour les cinéastes. Personnellement c'est celui de Winter Sleep (Nuri Bilge Ceylan, 2014) et de Sieranevada (Cristi Puiu, 2016), qu'on trouve chez Abdellatif Kechiche aussi. Vous savez ces films dont on est sûr qu'ils sont intellos ou "cannois" et finalement c'est le cas mais finalement on se fait avoir comme des bleus. Il y a quelque chose d'hypnotique, dû aux plans fixes, dû aussi à certaines voix des personnages (l'animateur de l'atelier) qui happe vraiment et quand on se fait happer par ce qui n'est pas notre came à la base et qu'on ne l'explique pas, c'est certainement qu'une grande ignorance du cinéma s'ouvre à nouveau alors qu'on osait se dire cinéphile. Le mystère de la méditation audiovisuelle involontaire est encore possible.
A cinq minutes près avant d'entrer dans la salle, une légère différence d'humeur m'aurais fait détester ce film. Ou pas ? Impossible de dire si c'est moi qui me suis forcé ou le film qui m'a forcé. Je ne suis pas fan des films qui cherchent à transcrire uniquement de l'émotion, sauf quand ils sont très réussis.
D'ailleurs ce n'est pas émotion, c'est sensitif. Est-ce que c'est juste moi ?
Dans la salle, aussi petite que pleine, un silence collectif accompagne et balaye ma question.
M'enfin ferais-je dans la crétinerie ? Le film s'appelle Senses, évidemment que ça se veut sensitif !
Alors oui, c'est bien réussi. Du moins ces deux premières parties d'un film qui en fait cinq. Dans une ambiance comme ça, je ne crains pas une fin décevante, elle n'est pas le but, on voudrait qu'elle n'arrive pas. Tout ce qui compte, c'est ce vent statique si singulier qui dresse mes poils.
Les poils retombent sur une séquence de trop, c'est vrai. Faut-il être fou pour tourner un dialogue aussi calme dans un bus aussi secoué et bruyant, la caméra scellée au sol de façon à vibrer en même temps que les sièges ? C'est moins sensitif. Mais c'est toujours dans ce paradoxe du banal-quotidien / interpellant.
Je ne connais pas la société japonaise autrement que par le peu de culture qui nous est parvenu. Mais j'ai bien vu dans cette culture un machisme certain, souvent dénoncé par les auteurs que j'apprécie. Et c'est cela qui justifie ce ressenti si particulier. On tombe dans les tréfonds du pessimisme. Car si je me pavane en parlant de sens au cinéma, pour les personnages féminins en revanche, c'est tout ce qu'il reste de liberté. Et voilà le sens qui mène ces sens, qui perdure tout le long, à la maison, au travail, dans la ville qui hurle. Le jeu de mot fonctionne-t-il en japonais ? Il serait à propos.
Bon, c'est quand même une expérimentation ce film devenu série devenue série-qui-passe-au-cinéma. L'arrivée du titre du deuxième épisode nous rappelle que ce n'est pas un film de 2h20. Ça nous ranime pour un recommencement, mais ça nous annonce l'arrivée à la moitié. Normalement il y a un générique. Mon cerveau est perturbé à regarder un truc de salon bloqué dans un siège de cinéma. Il fallait peut-être juste une pause pipi entre les deux épisodes, une bouteille à décapsuler, et un mégot à écraser, trois éléments clefs d'une bonne série. Le format de "Senses" c'est une nouveauté à affiner et je ne doute pas qu'elle le sera très vite.
Si les cinq heures sont au même niveau, on sera au quasi chef-d'œuvre, et d'autres s'essaieront à l'exercice. Merci donc à "Senses" de ne pas enterrer la belle idée de série dans un circuit cinéma par une mauvaise qualité. Mais merci surtout pour le frisson du banal.
Créée
le 7 mai 2018
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