Sous un air d'Opéra
L'opéra a toujours occupé une place importante dans l'histoire de Venise. Déjà au XVIIème siècle, les puissantes familles vénitiennes érigeaient de gigantesques théâtres pour accueillir des...
Par
le 5 avr. 2021
15 j'aime
10
S'il y a bien une chose que j'aime chez Visconti, c'est le méthodisme obsessionnel avec lequel il compose et emplit son cadre. Où que l'on regarde dans ses images, il y a toujours un détail à observer, une histoire qui se joue en parallèle. Ce souci du détail s'accompagne d'un recours pléthorique aux figurants, et d'un amour pour les décors et costumes fignolés avec rigueur. Tout contribue à mettre en place un univers extrêmement dense, crédible, "réaliste".
Tout ça pour dire que Senso est un beau film, mais pas forcément un film réussi. Son évocation de l'amour aveugle porte une grosse charge émotionnelle, mais ne résiste pas à un scénario bardé de trous et de quelques artifices gênants. Pour commencer, Senso a du mal à justifier son titre. Au lieu de justement laisser parler les sensations ou la sensualité dans sa peinture du couple interdit Livia/Franz, Visconti rompt les moments de silence avec une voix off qui nous sert sur un plateau les états d'âme de la comtesse. Idem pour les dialogues entre les deux amoureux : trop touffus, trop sirupeux, trop écrits, ils finissent par entraver l'érotisme recherché par le réalisateur, pour donner parfois à cette romance l'allure d'un épisode de Sissi.
Heureusement Senso bénéficie du talent d'une actrice majuscule, Alida Valli, qui impose une palette stupéfiante et transcende les défauts d'écriture en offrant au spectateur un personnage vibrant, transi d'amour au point de perdre totalement la raison et de tourner le dos à ses valeurs. Farley Granger, assez transparent, se montre rarement à la hauteur de sa partenaire, et part même carrément en couilles avec son personnage dans sa dernière scène, offrant un rire démoniaque que ne renierait pas le Dr. Denfer.
(Oui, je viens de citer Austin Powers en parlant d'un film de Visconti. Ca va, eh oh.)
Quant à la partie background du scénario, qui s'attarde sur les dernières heures de la domination autrichienne en Vénétie, il est assez incompréhensible de voir à quel point elle se montre incomplète. Pourquoi filmer (platement) la bataille de Custoza, pourquoi montrer le cousin Ussoni dans son périple avec les troupes insurgées, si c'est pour bazarder tout ça sans aucune forme de dénouement ? Avec ce montage-là, toutes ces scènes s'avèrent purement et simplement inutiles pour le développement de l'intrigue principale. Et je passe sur quelques ellipses bien étranges (comment Livia a-t-elle justifié la disparition de l'argent ?).
Tous ces défauts pèsent assez lourd dans la balance, contribuant à rendre Senso profondément imparfait et ampoulé, sans doute sacrifié par des erreurs de jeunesse. Mais cela ne doit pas faire oublier qu'il renferme aussi quelques grands moments de beauté et de folie.
Créée
le 12 août 2016
Critique lue 1K fois
13 j'aime
4 commentaires
D'autres avis sur Senso
L'opéra a toujours occupé une place importante dans l'histoire de Venise. Déjà au XVIIème siècle, les puissantes familles vénitiennes érigeaient de gigantesques théâtres pour accueillir des...
Par
le 5 avr. 2021
15 j'aime
10
... mais la nouvelle dont s'inspire Visconti ne l'était pas : du petit récit sensuel de Boito émerge une gigantesque pièce montée, qui peine, à trop vouloir monter la chantilly, à réussir le va et...
le 30 oct. 2013
14 j'aime
S'il y a bien une chose que j'aime chez Visconti, c'est le méthodisme obsessionnel avec lequel il compose et emplit son cadre. Où que l'on regarde dans ses images, il y a toujours un détail à...
Par
le 12 août 2016
13 j'aime
4
Du même critique
Sans doute fatigué de pondre des drames chiants pour neurasthéniques masochistes, Robert Bresson s'est surpassé afin de nous offrir son ultime chef d'oeuvre, une parabole de science-fiction sous...
Par
le 26 mars 2018
31 j'aime
6
Honnêtement, je pense qu'Arthur Miller aurait pu broder une merveille de scénario en se contentant de la dernière scène dans le désert du Nevada, où tout est dit. Après tout, un bon exemple vaut...
Par
le 2 avr. 2016
23 j'aime
2
Refn est un sacré déconneur. Le défi de départ était excitant : écrire un scénario en 5 minutes. Malheureusement Nicolas dut se rendre à l'évidence. Ecrire plus de deux pages en 5 minutes c'est pas...
Par
le 4 janv. 2014
20 j'aime
1