Franck Poupart est colporteur dans la banlieue parisienne. Alors qu’il est à la recherche du fraudeur Andreas Tikides, Poupart rencontre Mona, une adolescente qui se prostitue sous les ordres de sa tante. Ce jour-là, elle offre le corps de sa nièce contre une robe de chambre. Désabusé par son quotidien, Poupart veut sauver Mona et refaire sa vie. Prêts à tout, ils décident de tuer la vieille dame et de récupérer ses économies.
Si Série Noire doit son titre à la collection de romans du même nom, il est adapté de l’un d’entre eux, *Des Cliques et des Cloaques*, écrit par Jim Thompson. Alain Corneau, déjà familier du genre policier qui l’a fait connaître dès son deuxième film Police Python 357 (1976), travaille avec Georges Perec pour le scénario. Perec signe également d’excellents dialogues, teintés d’ironie et de cynisme qui traduisent l’humour très sombre des romans de Thompson. Du film noir, Série Noire emprunte principalement un regard pessimiste sur les hommes et la morale. Le décor est planté dès la première scène : une banlieue grisâtre et déshumanisée dans laquelle évolue Franck Poupart, personnage de grand enfant seul, dansant sur Moonlight Fiesta de Duke Ellington.
Dès la genèse du projet, Corneau veut Patrick Dewaere pour incarner Franck Poupart. De tous les plans, l’acteur est habité par ce personnage instable, menteur, lâche et violent. Malgré cela, il est le seul à réagir face au sort de Mona. Comme mût par l’injustice que subit l’adolescente, il se révolte et trouve en cette dernière un motif d’espoir. Or, dans ce monde où personne n’est bon, il ne peut y avoir de véritable contrepoint à son attitude. La tante est une maquerelle motivée par son confort, Tikides, un violeur simplet, Mona elle-même conserve une ambiguïté malsaine. Elle se met littéralement à nue dès sa rencontre avec Poupart mais elle s’enferme dans son mutisme par la suite. Lorsqu’elle manipule Poupart, sa figure rappelle les femmes fatales des films noirs malgré son statut de victime. Le jeu de la jeune Marie Trintignant rend cette ambivalence extrêmement pernicieuse. À l’image de l’ensemble du film, où le héros n’en est pas un, Mona est aussi libre que dépendante, constamment dans un entre-deux qui se joue de la morale.
Dans un entretien pour l’Avant-scène cinéma en 1979, Alain Corneau confesse au sujet de Série Noire : « Il fallait quelque chose de totalement irréaliste […] Le naturalisme dans un film comme ça aurait été la mort ». Cette volonté se traduit notamment par les dialogues. Ils se distinguent par leur capacité à détourner des expressions quotidiennes, ce que Corneau exprime ainsi : « C’est un dialogue qui a l’apparence d’être comme dans la vie ». Ces mots sont en adéquation avec les personnages, dépossédés d’eux-mêmes. Tous, Poupart en premier lieu, souffrent d’une solitude qui les tue à petit feu. Le « héros » parle souvent tout seul, comme pour combler ce vide. Frappés par la fatalité, chacun est enfermé dans ce monde inhabité. Pour cause, nulle silhouette de passant, nulle musique extra diégétique ne vient rompre leur isolement. Minable colporteur de banlieue, Franck Poupart est un raté et ce, dès le début du film. Seules les chansons qui émanent de la radio et les rares voix humaines (dont la sienne) s’immiscent dans le silence pesant de son quotidien.
On peut voir en Série Noire une critique, consciente ou non, du déterminisme social. La banlieue y est morne, vide de vie, à l’image de ses habitants. Le travail apparaît aliénant, seul l’appât du gain motive les employés. De son propre aveu, Corneau a toujours été fasciné par les hommes qui se cherchent eux-mêmes. Si le cinéaste admire Jim Thompson, l’écriture de ses personnages éclatés n’y est pas pour rien. Le titre du film est évocateur et affiche son intérêt à dépeindre avec pessimisme l’âme humaine : dans Série Noire, le destin rattrape Franck Poupart qui se perd en se cherchant. Il est l’incarnation de l’homme déséquilibré qui s’engouffre dans une vaine quête de sens. À cet égard, il fait montre d’un orgueil ironique, il croit être plus malin que les autres mais n’est en réalité capable de manipuler personne sinon ceux qui sont plus simples d’esprits que lui. L’ambiance mortifère et très anxiogène du film lui vaut une interdiction aux moins de 18 ans. Il est sélectionné au festival de Cannes après sa sortie en salle. En 1991, il fait l’objet d’une reclassification. Désormais interdit aux moins de 12 ans, il est considéré comme un classique du cinéma français.
Porté par un Patrick Dewaere dont on a loué la prestation, à juste titre, et par des dialogues aux oignons cuits bien comme il faut, le personnage de Poupart est fascinant.
Fascinant car ambigu, malsain, colérique, instable, désespéré, amoureux, violent, seul, triste et j'en passe...
En somme, un personnage à l’image de l’humanité.