Le chef d'oeuvre de Patrick Dewaere, et sûrement l'une des compositions dramatiques les plus géniales de tous les temps. Mon modèle personnel en la matière, incontestablement. Série Noire est à lui seul un film sur LA définition d'un acteur. Le jeu de Dewaere ne se regarde plus : il se contemple. Entre une gestuelle unique, une extraordinaire implication émotionnelle, un débit parfait composé des superbes dialogues de Georges Perec et de nombreuses onomatopées survenues de nulle part son incarnation du personnage tristement comique de Franck Poupart est unique.
La gamme dramatique de l'acteur est absolument prodigieuse : jouant le mensonge avec une connaissance du simulacre et de ses simagrées le regretté Patrick Maurin en fait des tonnes sans jamais tirer la couverture, parvenant à mettre en valeur le reste du casting avec une intelligence rare. Ainsi le jeu minimaliste de Marie Trintignant, la composition réaliste de Myriam Boyer et la prestation colorée de Bernard Blier ( excellent en patron paternaliste et calculateur ) ne sont pas en reste face au génie.
Le scénario, quant à lui, nous plonge dans une banlieue sordide où sévit la misère existentielle, sociale et sexuelle. Poupart ne rencontrera sur son chemin que brutes pathétiques, vieilles marâtres proxénètes ou encore prostituées mutiques et passera du statut de simple représentant minable à celui d'assassin mythomane ( la séquence où Franck invente d'interminables mensonges à sa femme au sujet du magot volé, est l'une des plus impressionnantes du film d'Alain Corneau ). L'écriture de l'intrigue, adaptée du roman de Jim Thompson se fait telle une dérive, sorte d'enlisement dérisoire d'un homme qui ne démarre pas forcément du meilleur pied ( dettes professionnelles et ménage battant de l'aile ) mais qui terminera pire qu'il n'a commencé.
La manière dont Patrick Dewaere réussit à transmettre le désespoir grotesque de cet antihéros donnant des coups de poing dans le vide, injuriant ses partenaires à grand renfort de néologismes et dansant le chachacha à tout va permet à l'acteur de porter en grande partie le film sur ses épaules. Entre l'atmosphère pluvieuse, l'absence de musique originale ( pratiquement toutes les chansons de Série Noire proviennent d'une source radiophonique ) et la narration linéaire le chef d'oeuvre d'Alain Corneau prend des allures de long tunnel urbain débouchant sur une impasse. Lorsque à la fin du film Poupart continue de fabuler malgré sa situation critique on se dit que la forme du happy-end factice n'en est que plus terrible et plus absurde.
Série Noire est donc un véritable chef d'oeuvre du cinéma français, sorte d'errance lugubre proprement habitée par Dewaere et Trintignant. Un film fou rehaussé par l'excentricité perpétuelle de son acteur principal et le magnifique thème jazzy de Duke Ellington ouvrant et clôturant le spectacle. Un film à revoir en boucle.