Avant-première cannoise, on trouvait qu'on était étonnamment bien placé dans la salle Debussy (soit la salle où, si on vous attribue une place médiocre, vous pouvez sortir les jumelles), et pour cause : on s'est retrouvé avec Vicky Krieps et Mathieu Amalric juste devant. On a donc pu profiter des quinze minutes d'ovation finales pendant lesquelles le réalisateur faisait le pitre en se voyant en direct sur le grand écran (avec votre serviteur qui tente de se cacher sous le siège derrière). Sacré Amalric, qui sait être farfelu comme très sérieux et poignant, comme le prouve son Serre moi fort, une plongée vibrante dans l'enfer du deuil impossible, de la reconstruction après une lourde perte, de la difficulté de se sentir capable d'avancer malgré tout. Du fait de son montage complexe (pour ne pas dire carrément en bazar), qui mêle les flashbacks au présent, les rêves à la réalité, on n'est pas bien certain d'avoir tout saisi, ou d'avoir interprété les scènes comme il se devait, mais la force des émotions ne nous a pas échappé. Vicky Krieps est convaincante en mère terrassée par le deuil, et porte le film à elle seule, on sait pourquoi Amalric dit qu'il a écrit le rôle uniquement pour elle, tant elle semble une évidence ici. Le titre est tiré d'une chanson d'Etienne Daho (La Nage Indienne), flirte souvent avec la sensibilité de ses paroles, et dont le réalisateur excuse une orthographe qui nous étonnait jusque-là (où est le tiret de l'impératif entre "Serre" et "moi" ? L'oubli est volontaire : il représente l'impossible rapprochement des êtres, les liens brisés qui ne se refont jamais... Bernard Pivot n'aura plus rien à redire, à présent). On ressort de Serre moi fort avec le cerveau en ébullition d'avoir cogité pour suivre toutes scènes qui semblent se suivre de façon décousues (on pense le revoir, pour être sûr d'avoir tout compris), mais aussi avec le cœur bien certain d'avoir capté toute la puissance des sentiments qu'Amalric et Krieps, ensemble, sont capables de transmettre de chaque côté de la caméra.