Ce grand classique fut un grand succès public et critique qui avec Monsieur Smith au Sénat tourné par Frank Capra la même année, hissa la Columbia sur un piédestal. On peut largement le compter parmi les grands films de Howard Hawks parce qu'il rassemble plusieurs des thèmes favoris du réalisateur : esprit d'aventure, héroïsme, amitié virile, misogynie et ironie cruelle. Après L'impossible monsieur Bébé sorti en 1938, c'est le second film de Cary Grant sous la direction de Hawks, qu'il retrouvera à 3 reprises dans la Dame du vendredi, Allez coucher ailleurs et Chérie je me sens rajeunir ; à la différence que Seuls les anges ont des ailes est un film dramatique, tous les autres étant des comédies de type screwball. Aussi, était-ce risqué de confier à Grant ce rôle de patron de ligne aérospotale au caractère dur et peu émotif, mais il s'en sortit fort bien, épaulé par un excellent casting (Jean Arthur, Thomas Mitchell, Richard Barthelmess, Rita Hayworth, Sig Ruman, Noah Beery, John Carroll...).
C'est un véritable hommage aux pionniers de l'aéropostale et aux pilotes en général qui se donnent corps et âme à une mission. Hawks a avoué que chaque personnage et que plusieurs incidents s'inspiraient de faits vécus, tel le condor qui se fracasse sur le pare-brise de l'avion. C'était une époque où les pilotes prenaient souvent d'énormes risques pour acheminer le courrier sous des météos déplorables. Tout ceci est parfaitement montré dans le film qui s'inscrit au sein de l'engouement du public pour les films d'aviation. Et pourtant, Hawks réussit l'exploit de montrer tout ça dans des décors entièrement reconstitués en studio, avec des maquettes et un décor de bar qu'il utilise comme une sorte de théâtre, lieu de contact de tous les personnages.
Il mêle plusieurs genres en décrivant l'arrivée d'une Newyorkaise en transit dans un port d'Amérique du Sud qui se mêle au quotidien d'une escadrille d'expatriés ; ainsi, le film est à la fois une comédie romantique, un film d'aventure, un drame, ce qui prouve que Hawks a touché à tous les genres dans sa carrière avec un égal talent. Les scènes d'avions sont également bien réalisées ; davantage que technique, leur réussite repose sur la vraisemblance de leur rythme et de leurs actes, de même que le regard de Hawks sur ses personnages à la dérive ou noyés par les éléments lui permet de gagner en intensité dramatique. Mais Hawks revient toujours à l'humour qu'il parsème de façon acerbe à travers la romance entre Cary Grant et Jean Arthur.
Hawks a aussi favorisé le rôle de Rita Hayworth qui faisait ici une apparition remarquée, ce qui incitera Harry Cohn le patron de la Columbia à lui signer un contrat qui en fera sa principale vedette maison.
En dépit d'un happy end relatif, Seuls les anges ont des ailes décrit la fin d'un monde et s'achève dans la noirceur, comme si l'émotion larmoyante de Cary Grant annonçait la Seconde guerre mondiale qui allait éclater. Un film admirable, brillant, profond et humain.