J'adore cette affiche. Le cow-boy, le vacher, seul et bien campé sur son cheval. Derrière, devant, à côté, partout, l'immensité des plaines de l'Ouest. Sauvage et désertique, immense, prêt à engloutir ceux qui se risqueraient à l'affronter. Et puis, il y a ce titre. Beaucoup plus explicite quant à la véritable nature du film. Lonely are the Brave dans la langue de Kirk, Seuls sont les indomptés dans la langue de Molière. Dans les deux cas, ça sonne bien. Et, ça exprime déjà l'essence même de l’œuvre : celle d'un film de résistance, de résilience face à des forces qui vous écrasent et vous réduisent à néant. Kirk est un indompté, il l'avait déjà été pour imposer Dalton Trumbo au générique de son Spartacus, un an plus tôt. L'ami Dalton est de retour ici, et la réussite de cette nouvelle œuvre lui revient en grande partie.
Nous sommes en 1962 et le western est encore sacré à Hollywood. L'heure de Peckinpah qui l'enterrera dans un coucher de soleil sanglant, dix ans plus tard, n'a pas encore sonné.
Mais elle approche, puisque la même année sort Coups de Feux dans la Sierra. Même John Ford a compris que son heure arrivait. Liberty Valance disait déjà tout de l’anachronisme de ces hommes, dans une époque où la modernité, c'est la loi. Où les hommes deviennent grands par la voix, et non plus par les armes. Et cet anachronisme est poussé à son paroxysme dans ce Lonely are the Brave. Histoire d'un cow-boy perdu au milieu des voitures, à cheval sur des frontières qui n'ont plus de sens, un infirme au milieu du troupeau qui avance. Jack W. Burns, interprété par notre centenaire Kirk, est un caillou dans la botte d'une société qui ne sait plus quoi faire de ces irréductibles, qui ne se plient ni au conformisme social, ni à la législation. Guidé par la pureté de l'air, Burns représente l'homme idéal. Mais celui du siècle précédent. Vaillant, bagarreur, bon tireur, costaud et loyal. Sauf, qu'il évolue dans un monde qui a renié toutes ces valeurs. Même son meilleur copain est lié par ses responsabilités, attaché par une famille qui l'attend. Même en dehors d'une prison, la liberté n'est qu'un leurre tant l'homme devient soumis à des pressions qui l'écrase. Les femmes, y sont décrites comme plus à l'aise, nées grâce à cette révolution sociale qui les place enfin au centre des débats. L'hégémonie masculine touche à sa fin, la société nouvelle ne donnant aucun passe-droit à ces hommes de l'Ouest anachroniques et avides de liberté. Burns est ainsi obligé de s'évader, épris d'une pulsion de liberté incontrôlable, d'un besoin compulsif de respirer seul, à l'écart du tumulte de la prison et de la civilisation. Contrairement aux idées reçues du cow-boy à l'aise dans les environnements virils, la prison apparaît pour lui comme un véritable purgatoire, où la violence des gardiens est lâche, dictée par la hiérarchie sociale, par le pouvoir. Le souvenir des duels aux colts à armes égales est bien lointain.
Vous entrez dans une zone de spoilers.
Le rythme du film est très lent, presque contemplatif dans sa seconde partie. La traque du fugitif apparaît impossible, dans un terrain de jeu où toute cette modernité (les hélicos, les avions) s'écrase face à la gravité. Dans la montagne, dans ces contrées boisées et sèches, Kirk est intouchable. Libre comme l'air, presque en balade, le film ralentit pour nous conter cette échappée solitaire. Le shérif l'a compris et s'arrête à son tour, résigné. Dans l'Ouest Sauvage, l'homme ne domine jamais rien. Même Kirk doit lutter pour gravir cette montagne avec son cheval, lutter contre les éléments climatiques, après avoir lutté contre l’oppression de la société. Sauf que cette lutte contre la nature, il peut la gagner. Contrairement, à cette lutte contre sa nature qu'il ne peut que perdre. Renversé par un énorme camion, fauché en pleine fuite vers l'avant, rattrapé par un monde qui a déjà gagné. S'adapter pour survivre, se faire violence pour subsister, le cow-boy ne peut le faire. Comme Wayne dans Liberty Valance, comme McCrea dans Coups de Feux dans la Sierra, Kirk n'a plus sa place dans ce monde. Et cette pluie qui tombe sur ce stetson posé au milieu d'une route humide, semble encore pleurer un monde déjà englouti. Le deuil du Western peut commencer.