Branle bas de combat
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Il est des indélicatesses que l'on peut aisément pardonner, et d'autres plus incommodantes. Ces dames pardonneront certainement l'inélégance avérée de Michael Fassbender (oui, oui) qui en guise de présentation, accueille ses invités (nous spectateurs), dans le plus simple appareil, passant et repassant devant la caméra, "attributs" au vent. Ces messieurs pardonneront plus aisément à Carey Mulligan (Sissy, sœur de Brandon/Fassbender...) de s'inviter nue également chez son frangin (avait-elle seulement des vêtements en arrivant en métro ?). Singulière famille, nous en conviendrons, pour un film qui présenté de la sorte, ressemble fort à un vaudeville libertin et joyeux.
Las, et c'est bien là l'indélicatesse ultime, ici, la chair n'est pas joyeuse. La fameuse scène d'exposition (inélégant Fassbender -j'insiste-) résonne comme un avertissement. Les visages sont blafards, les expressions affectées, le tourment, la culpabilité affleurent. Shame est de ces films qui donnent à réfléchir, qui mettent mal à l'aise et interrogent sur les déviances de l'homme.
Le parti pris est affirmé d'emblée, il ne s'agit pas de juger, mais d'exposer, non pas une obsession ou un penchant, mais une addiction au sexe, dans ce qu'elle a de plus malsain. Une assuétude aliénante qui rend difficile toute vie sociale équilibrée. Shame est le calvaire d'un homme qui accepte sa part de noirceur, sans jamais chercher à l'analyser ni à l'assumer réellement. Brandon ne choisit pas, il subit sa vie, son besoin de sexe, mais semble s'en accommoder, le révélateur sera l'arrivée de sa sœur et la confrontation à l'impossibilité de dissimuler sa dépendance.
Dès lors, la descente aux enfers est silencieuse, presque feutrée, mais inéluctable. La situation professionnelle de notre "séducteur" est mise en péril, des vidéos sont trouvées sur son ordi de bureau. Mais, Brandon sort avec son boss, lui présente (lui offre?) sa sœur, après une magnifique séquence de cabaret, dans laquelle elle interprète "New York, New York", dans une tonalité très suave et d'une lenteur étonnante.
La façade sociale également se fissure, la vie commune avec une sœur, d'une grande fragilité émotive devient impossible ; tout comme il est impossible au bellâtre d'avoir une relation charnelle avec une collègue pour qui, supposons-nous, il éprouverait le début du commencement d'un attendrissement. Pauvre Brandon, être beau ne suffit pas !
Le final, orchestré en deux temps est à la mesure du film, âpre, tendu. Il y a d'abord cette déchirante confrontation entre le frère et la sœur qui dans un cri lâchera un énigmatique:
Nous ne sommes pas mauvais, nous venons du mauvais endroit
laissant supposer que (...) ???
puis cette tragique plongée dans les abimes du désespoir, qui verra Sissy tenter de se noyer dans son sang, tandis que son frère cherchera une nouvelle fois son salut en allant toujours plus loin dans sa quête de jouissance..
L'ultime scène, où l'on voit Brandon, résigné, fatigué,
laisser s'échapper définitivement l'inconnue du métro (sa proie du
début)
clôt parfaitement le film. Shame est une œuvre
froide sur la solitude extrême, une vision de l'enfermement des êtres dans une société que la compassion et la sollicitude auraient déserté.Une expression forte, qui se réfléchit longtemps après l'avoir vu, et diantre, qu'il est bon de réfléchir grâce au cinéma !
Pour autant, Shame n'induit nullement l'obligation de souscrire au pessimiste de son réalisateur. Non, la chair n'est pas triste, n'en déplaise à messieurs McQueen et Mallarmé, et, puisque le sujet s'y prête, on peut même se laisser aller à une grivoiserie honteuse et gratuite, signée Apollinaire, qui soulignait ainsi la gaieté de la chose: "Alexine alla lui ouvrir à poil; le cocher en eut un éblouissement et, comme elle se sauvait dans la chambre à coucher, il courut derrière, (...) "
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Créée
le 3 avr. 2018
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