Quelle année ! Le cinéma nous a rarement autant gâté qu'en 2011, nous réservant des pépites presque chaque mois. À l'heure des remakes, des adaptations, ou des suites, certains réalisateurs ose proposer quelque chose d'inédit. Et le plus souvent avec brio. Hier soir, le Mk2 Bibliothèque nous faisait le plaisir de nous proposer en avant-première le dernier film de M. Steve McQueen (II) : Shame. Un plaisir dont on a pu se délecter, 1 heure et demi durant, face à Michael Fassbender et ses démons, traversant la ville de New York, plus froide et austère que jamais.
À le voir allongé comme ça, on pourrait penser que Brandon/Fassbender est un homme ordinaire. Le regard dans le vague, fixant le plafond, nu dans ses draps bleus. Mais très vite, on prend conscience du problème. Ses ébats avec des prostitués, les masturbations répétées, sous la douche et dans les toilettes du bureau, le son des pornos qui polluent son ordinateur. Brandon est rongé par son addiction au sexe... Une addiction qu'il va avoir du mal à gérer avec l'arrivée impromptue de sa petite sœur Sissy/Mulligan.
C'est d'ailleurs là que commence l'histoire : lorsque, d'un tiré de rideau de douche, on découvre cette jeune femme nue, que l'on entendait plus tôt implorer Brandon de décrocher sur son répondeur. Si jusqu'ici McQueen nous imposait un constat, malheureux, de la vie morne d'un trentenaire en quête du désir, l'arrivée de cette femme, qui se révèle être sa sœur, modifie sa trajectoire. On aperçoit déjà les prémices d'une recherche. La recherche des origines de cette maladie incurable.
Par des procédés narratifs très intelligents, il nous guide dans la compréhension des faits. Il répète plusieurs fois les choses, un processus dont use également son protagoniste. Lorsqu'il surprend les ébats d'un couple à la fenêtre d'un hôtel, ce dernier reproduit la scène avec une autre. De par ce souci de reproduire ce qu'il voit, se dessine un schéma très lisible de la vie du jeune homme, d'où il vient.
La souffrance, les maux, ont tous une origine. Le second procédé utilisé par le réalisateur, est de toujours prendre soin de nous montrer les blessures ou les cicatrices avant d'en dévoiler la cause. Ainsi, on retrouve notre personnage assis dans le métro avec la pommette défoncée, sans explication. Une scène entrecoupée de flashbacks, contenant le fameux crochet du droit qui est venu s'enfoncer dans sa joue, et ses raisons. Parfois la raison est plus implicite. Plus ancrée. A l'image des cicatrices qui scarifient les bras d'une sœur fragile.
Uns souffrance que l'on ressent dans les yeux tristes de Sissy entonnant un « New York, New York » lancinant, et les larmes qui perlent de ceux de Brandon. Ces frères et sœurs qui ne peuvent s'aimer. Toute la colère que Brandon enfouit au quotidien se déchaine en présence de sa sœur, seul vestige de souvenirs d'enfance trop lourds, qu'il occulte. Une colère qu'il libère dans l'acte sexuel. Son addiction n'est alors plus une quête du plaisir charnel, mais la simple évacuation d'un flux incontrôlable. Chacun à leur manière, ils s'autodétruisent.
Sa sœur, par ses nombreuses tentatives pour en finir avec cette solitude, elle qui s'accroche à la moindre parcelle d'attention. Lui, au contraire, s'enferme dans cet isolement. Le moindre rapport humain le met mal à l'aise. Il fuit l'engagement, et l'acte sentimental. Incapable de mêler le sexe et les sentiments, il s'affaire à ne rechercher que des aventures éphémères. Une femme mariée l'attire. Il ignore cette même femme sans alliance. Lorsqu'il s'éprend de cette rencontre au coin de la machine à café, au cours d'un diner où il enchaine les maladresses, toute vigueur s'éteint, ses démons le rattrapant.
Si, de par ses rapports avec sa sœur, la colère qu'il laisse échapper parfois, ou sa froideur, Brandon semble manquer d'humanité, McQueen nous démontre qu'il n'en est rien. Des éclairs de génie traversent Shame. Notamment un plan, magistral, duquel le titre tire tout son sens. Un regard, face caméra, au détour d'une levrette. Fassbender nous fixe, s'agitant sur la demoiselle, les yeux noyés de larmes de honte.
C'est ici la grande force de la réalisation de McQueen. En un plan, il nous montre plus d'éléments qu'en 100. Enchainant les plans fixes et les plans séquences sur une partition magnifique, il montre tout dans son entier. De la triste complainte de Sissy, à l'attente insoutenable dans un ascenseur. La caméra est absente. Spectateurs, nous sommes dans l'ombre de son personnage, le suivant dans ses actes les plus irrationnels. Subissant son addiction. La forme est au service du fond, révélant une beauté insoupçonnée des réalisateurs qui l'ont oublié.
Shame était à première vue un film au sujet tendancieux, pervers, voire malsain. Un sujet qui s'oubli peu à peu, à la recherche du pourquoi, et qui ne tombe jamais dans sa propre perversion. Filmé avec beaucoup de soin et d'intelligence, Fassbender crève l'écran dès le premier plan. Troublant, souvent déroutant, mais toujours magnifique ; la honte serait de faire l'impasse sur ce film.
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