Les nombreuses sorties de films de la Shaw Brothers que nous offrent des éditeurs comme IVL, Wild Side ou CTV permettent à nombre de fans de découvrir l'excellence de certains réalisateurs comme Li Han Hsiang, Lau Kar Leung, Chor Yuen ou Chang Cheh. Ce dernier fut clairement un des metteurs en scène les plus importants du cinéma d'action Hong Kongais à travers des œuvres aussi emblématiques que One Armed Swordsman ou Blood Brothers. Mais on ne peut pas rester au sommet de son art éternellement et, à partir du milieu des années 70, l'Ogre entame une lente mais inéluctable déchéance artistique. En 1985, Cheh est arrivé aussi bas qu'il était possible. Le metteur en scène n'est plus que l'ombre de lui-même, ressassant éternellement les mêmes obsessions de manière de plus en plus maladroites. Shanghai 13, bien qu'il ne soit pas le tout dernier film de son auteur, est hélas bien emblématique de la débâcle artistique généralisée qui rongeait le cinéma de Cheh à cette période de sa carrière.
Pourtant, sur le papier, Shanghai 13 a tout d'un projet de rêve. Le star power de son casting est tout simplement hallucinant, mélangeant stars des années 60 (Wang Yu), des années 70 (les inévitables Ti Lung et David Chiang) et des années 80 (le jeune Andy Lau). Tous ont répondus présent à l'appel de leur maître.
Malheureusement, ce dernier n'est plus qu'une caricature de ce qu'il était durant sa période de gloire. Et même la présence d'autant d'acteurs talentueux ne sauvera pas Shanghai 13 de sa consternante médiocrité.
Evidemment, le long métrage de Chang Cheh n'a pas de scénario très élaboré. En cela, le réalisateur est constant avec la démarche de ses tous débuts, préférant privilégier des histoires simples qu'il peut à loisir enrichir de ses obsessions viriles et violentes. Shanghai 13 suit donc le périple d'un agent du gouvernement Chinois cherchant à rejoindre Hong Kong et faisant appel aux services de 13 mercenaires pour le protéger de ses nombreux ennemis. Intrigue limpide, comme l'Ogre les affectionne, et pourtant le vieux réalisateur parvient à totalement foirer sa mise en place. Alors que les enjeux auraient pu être exposés en une poignée de minutes pour permettre au récit d'avancer à un rythme soutenu, Chang fait traîner les choses en longueur. Il lui faut bien près de 25 minutes pour nous faire entrer dans son histoire et cela, de la manière la plus paresseuse possible, à coups de longues conversations assommantes entres une poignée de personnages.
Une fois ces formalités introductives laborieusement achevées, Shanghai 13 peut enfin se mettre en marche dans un enchaînement quasi non stop de combats. L'Ogre a ainsi de nombreuses occasions de replacer quelques uns de ses gimmicks favoris, de la longue agonie guerrière à l'empalement bien sanglant. Mais, sans enjeu un minimum intéressant et sans le talent qu'exhibait son auteur durant sa période de gloire, ces moments de violence apparaissent comme des reflets sans âmes, sans énergie des cultissimes séquences de fins de films comme Blood Brothers ou Boxer From Shantung. Triste. Seules les solides chorégraphies de Chiang Sheng, Ricky Cheng, Wong Gwok Chue, Lu Feng et Lau Kar Wing permettent de conserver un minimum l'attention du spectateur perdu dans ce marasme artistique.
Car, non content d'avoir perdu son sens de la construction scénaristique, du rythme et l'inspiration violente qui le caractérisait, Chang Cheh a également perdu le moindre bon sens technique. Résultat : Shanghai 13 est une honteuse accumulation de faux raccords, de montage hasardeux, de photographie sans éclats et de reconstitution d'époque à coté de la plaque. Autant d'éléments dont le réalisateur n'avait pas forcément à se soucier quand il officiait à la Shaw Brothers mais qui accroissent encore l'impression de Waterloo cinématographique à la charge de Shanghai 13.
Il n'est pas bon d'assister à la déchéance d'un grand maître du cinéma d'action qui a tant apporté au genre. Pour cette raison, et ce malgré le casting prestigieux qu'il exhibe, Shanghai 13 est à fuir.