Si le cinéma est en réinvention perpétuelle, la modernité dont il fait preuve ne date pas d’hier. Quand Buster Keaton réalise en 1924 son Sherlock Junior, il utilise déjà des dispositifs de mise en scène et des artifices d’une inventivité étonnante. Caméra embarquée, travellings arrière ou latéral, courses folles, surimpressions, personnage traversant l’écran et interagissant avec un décor mouvant, gags minutieusement chorégraphiés : le cinéaste américain utilise toutes les expressions d’un langage filmique qui n’a alors plus rien de balbutiant.
La simplicité du pitch sert avant tout à faire place nette au burlesque. Un projectionniste se rêve détective. Il cherche à séduire une jeune femme, mais est accusé à tort d’avoir volé la montre de son père. Plongé dans un sommeil profond, il s’imagine ensuite enquêteur doué de qualités remarquables. Cela amorce une romance, des séquences oniriques, mais surtout des situations comiques en cascades : une affiche collant à un balai, puis à une chaussure et enfin à la main ; la description absurde d’un dollar perdu ; une bague dont la pierre, chiche, est auscultée à la loupe ; une filature un peu trop parfaitement ordonnée ; des panneaux comprenant des jeux de mots ; des interactions burlesques avec le décor (wagons, réserve d’eau, camions)…
La fantaisie, le montage ingénieux, les partitions entraînantes, le rythme trépidant : tout, dans Sherlock Junior, concourt à célébrer le cinéma. Le format adopté par Buster Keaton n’y est pas pour rien : là où d’aucuns s’attendaient à ce qu’il étire son film, il décida finalement de l’amputer d’une vingtaine de minutes pour se recentrer sur son aspect comique. Cela confère au moyen métrage un souffle nouveau, où les tentatives d’assassinat sur un détective imaginaire (hache, poison, balle piégée) le disputent, le plus souvent en plans larges et fixes, à un protagoniste se fondant dans un écran de cinéma ou à des courses parfaitement synchronisées. C’est bien rythmé, excellemment mis en scène et foncièrement keatonien.
Sur Le Mag du Ciné