L'un des Buster Keaton que je préfère, revu en ciné-concert : accompagné à l'orgue en live par Paul Goussot (formidable musicien qui exerce depuis 20 ans pour le cinéma muet, et adorable personne qui vous parle volontiers de son art des heures durant : on vous le recommande vivement) à la cathédrale d'Alès... On a eu l'impression de voir le film pour la première fois. Ou plutôt, de le vivre. La musique, improvisée, vous prend au cœur (surtout avec l'acoustique du lieu), et revisite le film selon l'envie du musicien (très en forme et inspiré). Un triomphe. Il faut dire que ce moyen-métrage de 43 minutes est un terrain béni (sans mauvais jeu de mots) pour vivre une expérience forte de cinéma. Que l'on pense au début qui nous fait fondre comme des guimauves (lorsque le personnage fauché donne quand même son billet d'un dollar à une dame pauvre...), que l'on pense à quelques gags hilarants (quand il file son concurrent comme son ombre, quand la voiture se transforme en bateau, la fin où le jeune homme s'inspire de la scène de cour qui défile à l'écran mais a un doute sur l’ellipse...), ou encore au final stupéfiant (les décors qui changent dans le cinéma, la course en moto qui est sidérante...), tout dans ce Sherlock Junior nous plaît profondément. On se surprend à revoir certaines scènes avec toujours la même admiration : le billard (mais comment fait-il ces coups incroyables ?!), le coup de la valise-femme traversée (les spécialistes du cinéma d'aujourd'hui ne sont toujours pas sûrs d'avoir compris le trucage, c'est dire...), les cascades à moto (on n'en revient pas)... Lors du ciné-concert, le musicien avait choisi d'accentuer le comique de la scène de fin "en bateau" en y jouant le thème "Il était un petit navire" (on a tous bien ri) et a ensuite détourné ce thème en variante plus amoureuse, plus dramatique, pour construire une scène de fin romantique qui n'oublie pas qu'elle doit tout à sa scène comique qui la précède à l'instant. Une filiation maline, bien trouvée, et forcément inoubliable qui fait du ciné-concert "comme à l'époque" la meilleure façon de vivre le film (et pas seulement le voir). Si vous le pouvez, vous pouvez trouver une version restaurée de 2015 de Sherlock Junior qui vaut largement le détour (on se rince l’œil), et si vous avez la chance de croiser la route d'un ciné-concert (on vous recommande Paul Goussot, brillant), foncez pour vivre une expérience inoubliable.