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Le dernier Godzilla japonais produit par la Toho remonte déjà à 2004 avec Godzilla : Final Wars. Il s’agissait d'une œuvre hommage pour souffler les 50 bougies d’anniversaire du monstre légendaire. Shin Godzilla est donc un retour attendu et est une réponse à la nouvelle version américaine. C’est un long-métrage sous forme de reboot, sans aucune référence aux autres films de la franchise, et qui se veut indépendant de bien des manières.



« Nous sommes en guerre »



Parce que nous vivons dans une situation particulière depuis maintenant une année entière, j’ai récemment revu ce film déjà admirable avec un regard totalement différent. En effet, comment ne pas faire un lien entre cette gestion chaotique d’une attaque de Godzilla sur la ville de Tokyo et la gestion actuelle de notre gouvernement contre la Covid-19 ? Le présent métrage délivre une habile critique contre l’immobilisme et la bureaucratie d’un gouvernement trop déconnecté du réel, ici sous plusieurs formes.


D’emblée, on est effaré de constater la paralysie du gouvernement à mesure que la menace s’intensifie. Chaque député, chaque conseillé, chaque ministre devient l’agent désincarné d’une vaste fourmilière désorganisée qui se tape la tête contre tous les murs. On nous le prouve à coups de longs dialogues qui suintent l’amateurisme, mais aussi de silences timides, de décisions infondées, et même d’experts qui n’en méritent pas le statut. Il faut dire que la plupart des scènes sont à se prendre la tête dans les mains. Les hommes politiques chargés de la gestion de la crise doivent se déplacer dans des salles différentes prévues en fonction du sujet dont il est question. Une information cruciale doit passer par plusieurs personnes responsables d’un service particulier, le plus souvent à quelques mètres de distance et dans un même lieu, avant d’enfin arriver aux oreilles du premier ministre. On admet rapidement que le gouvernement est enfermé dans une bulle dont les contours seraient formés à la fois par les obligations réglementaires de la hiérarchie, par la soumission aux deadlines bureaucratiques, mais aussi par une routine rythmée entre les prises de rendez-vous et les places libres dans l’agenda politique. J’ai rapidement eu une pensée pour cette scène dans les Douze Travaux d’Astérix où les deux gaulois passent de service en service, de secrétaire en secrétaire, d’étage en étage, pour trouver le fameux formulaire A-38. Comme c’est finalement le cas de l’exécutif qui agit péniblement et fige le gouvernement face à l’incapacité des services internes de coopérer ensemble.


Également, le film n’omet pas de traiter la communication du gouvernement au sein de cette crise inédite. Là encore il s’agit d’une dénonciation d’un manque flagrant de professionnalisme. Le premier ministre prend publiquement la parole sans conviction face à une population terrorisée et relaye des informations infondées. Faisant fi des conséquences de son acte, chaque affirmation est automatiquement balayée par la réalité des faits. Nous avons même une scène importante où le gouvernement ment délibérément à ses citoyens dans le but de nier sa mauvaise gestion de la crise et de conserver ainsi une image positive. C’est un esprit politique on ne peut plus réel que nous dépeint Godzilla Résurgence. Un esprit d’abord focalisé vers la carrière politique puis vers l’opinion publique, alors que la menace gagne dangereusement du terrain et devient de plus en plus difficile à combattre. Une manière comme une autre d’affirmer que le véritable monstre de ce film n’est non pas Godzilla, mais bien la bureaucratie gouvernementale.



De vulgaire têtard à Dieu vivant



Surprise principale du film, pour la première fois nous assistons à l’évolution de Godzilla. Un cycle de vie à vitesse grand V où le monstre passe par plusieurs phases comme le ferait finalement un Pokémon. Ici de vulgaire têtard à Dieu vivant, Godzilla embarque une nouvelle fois avec lui les thèmes qui lui sont propres : le cri d’alerte contre le nucléaire, la peur de l’atome, les ravages écologiques, et l’orgueil de l’Homme. Le célèbre Kaiju n’est plus le simple monstre qui se réveille soudainement pour tout ravager sur son passage, ici on assiste à toute sa mutation de sa phase la plus banale à sa forme ultime que nous connaissons tous. Il émerge d’abord d’une eau rouge sang en tant qu’amphibien grotesque. La créature se dandine, rampe comme un ver, et est aussi flasque qu’une limace. Pour souligner à quel point le monstre est ridicule, la glorieuse musique originale d’Akira Ifukube est reprise et parodiée dès ses premiers instants en ville. Dénotant ainsi considérablement avec les arrivées puissantes et fières de Godzilla dans le classique de 1954.


La première phase de Shin Godzilla est constituée d’yeux qui sortent de leurs orbites et de branchies dont dégoulinent une substance rouge. Ce lézard flasque qui glisse avec peine dans les canaux de Tokyo va ensuite rapidement dévoiler tout son potentiel évolutif. Après seulement quelques minutes hors de l’eau pour la première fois de sa vie, la créature dépasse avec facilité et arrogance plusieurs siècles d’évolution. Son corps lui fait pousser deux bras, ses jambes sont plus fortes et lui permettent maintenant de se tenir debout. En un court instant, la créature bascule d’un être amphibie à un être terrestre.


A ce moment, on est déjà avec une version de Godzilla qui révolutionne une franchise de plus de 60ans d’histoires. Pourtant c’est la forme finale de la créature qui lui permet d’obtenir légitimement le nom de « Godzilla ». Une carrure effrayante qui pourrait sans mal rappeler les dessins les plus troublants de H. R. Giger, l’homme à qui l’on doit le design du xénomorphe. Cette phase ultime n’est en rien comparable avec la première. Godzilla atteint maintenant une taille de 118 mètres et surplombe toute la ville. Sa peau n’a plus une allure molle et sale, elle est maintenant noire comme le charbon et solide comme un roc. Sa tête possède une mâchoire tripartite et délivre avec l’utilisation de son souffle atomique une vraie vision d’horreur. C’est le premier Godzilla à mettre autant l’accent sur son aspect horrifique, réactualisant ainsi l’ampleur de sa menace.



Retour au pays natal



Quoi qu’il en soit, dès les premières images du monstre on constate que Shin Godzilla fait la part belle aux classiques de la première ère sans pour autant en faire une pâle copie. Hideaki Anno fait le pari fou de révolutionner Godzilla en proposant sans aucun doute à la fois la version la plus effrayante du célèbre Kaiju, mais aussi la plus originale.


Le réalisateur s’oblige donc à jongler entre deux techniques normalement opposées mais qui deviennent entre ses mains parfaitement complémentaires. Vous le remarquerez vous-même, l’allure de Godzilla et sa chorégraphie appartiennent aux méthodes cinématographiques datées d’Ishiro Honda. On pourrait facilement se croire dans un de ces films des années 50 où l’action se déroulait sur des maquettes avec des hommes habillés en costume latex. Pourtant, le réalisateur est conscient qu’il est aujourd’hui nécessaire de recourir aux techniques numériques si l’on veut proposer un film crédible aux spectateurs. Force est de constater que l’utilisation combinée du numérique et de l’identité originel de Godzilla permet de créer des scènes qui n’ont pas à rougir face à la dernière version américaine du célèbre Kaiju.


De ce point de vue, Godzilla Résurgence est très intéressant avec ses effets spéciaux bien intégrés aux prises de vue réelles et cette sensation parfaitement voulue de carton-pâte. Assurément, il s’agit encore de décisions audacieuses qui divisent les spectateurs. Certains affirmeront que ces méthodes sont laides et dépassées, d’autres y verront un hommage bienveillant envers Godzilla mais aussi une révolution nette au sein de la franchise.



Conclusion



Assurément, le Godzilla d’Hideaki Anno s’impose comme l’une des versions les plus audacieuses et les plus riches de cette longue franchise. Il intéressant de constater que Godzilla donne toujours aussi bien vie au trauma causé par les bombes atomiques. Plus de 60 ans après, la figure mythique de Godzilla exprime encore admirablement toutes ses thématiques. C’est avec cette envie de conserver le charme originel du célèbre Kaiju tout en souhaitant lui apporter une résonance neuve qu’est né Shin Godzilla. Notamment en pointant du doigt un nouveau responsable : la bureaucratie.



Godzilla…il est vraiment l’incarnation d’un dieu.


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le 19 avr. 2021

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Death Watch

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