" All work and no play make Jack a dull boy "
Kubrick se révèle extrêmement habile pour happer le spectateur dans une ambiance glauque et sinistre dès les premières images.
S'il y a bien une chose à retenir en premier de Shining, c'est l'incroyable performance d'acteur de Jack Nicholson Il est effectivement à l'image du film : inquiétant, troublant .
En choisissant d'évacuer tout rationalisme de son film en offrant d'innombrables interprétations potentielles du moindre élément, Kubrick dépasse la simple vocation récréative du film d'horreur.
L'angoisse est le ressort sur lequel joue Kubrick pendant cette première moitié: une peur omniprésente, mais ambigüe, explicite mais mystérieuse à la fois, hante le spectacteur . Jamais cet axiome n'aura été mieux illustré au cinéma que dans la première partie de ce film. Par une utilisation très fine de la psychologie des personnages, grâce à l'ambigüité scénaristique, aux cadrages millimétrés de la caméra, à la richesse de la mise en scène, et, enfin, grâce à cette musique tantôt horrible, tantôt mystérieuse, tantôt affolante, Kubrick parvient à terrifier littéralement le spectateur .
Ce ne sont pas les petits espaces qui nous oppressent, c'est l'immensité qui nous écrase : la scène où Jack Torrance contemple la maquette du labyrinthe à l'intérieur de l'Overlook dans laquelle on observe le parcours à travers le traitement de l'espace par Kubrick. Le thème du labyrinthe, est donc décliné sur plusieurs niveaux enchâssés (labyrinthe végétal, maquette de ce même labyrinthe, labyrinthe constitué par le dédale des couloirs de l'hôtel et labyrinthe mental de Jack, symbole psychanalytique de la folie) .
L'espace est donc fondamental, motif et cause de la folie de Jack. Kubrick filme admirablement ce lieu, joue sur sa géométrie, sa symétrie, y ajoutant une nouvelle profondeur grâce à un complexe jeu de miroirs, autre lien fantastique traditionnel entre l'univers des morts et celui des vivants, et révélant toute l'horreur de la signification du mot redrum.
L'espace est monumental, à l'image de ces plans fixes de l'hôtel ouvrant chacun des "chapitres" du film, et domine impitoyablement les humains qui y sont enfermés. Les longs travellings spectraux à la steadycam jouent également pour beaucoup dans le mystère enveloppant le lieu. Précédant ou suivant les personnages, ils mettent le spectateur en position de prédateur, isolant un peu plus les victimes annoncées .
La scène de Danny qui fait du tricycle à travers les couloirs labyrinthe nous terrifie.Une musique aigüe et grinçante qui maintient une atmosphère pesante, angoissante, particulièrement lourde à supporter.
La traditionnelle figure du tueur psychopathe qui brandit un couteau et qui s'impose comme la star du film se retourne au profit de l'esthétique : Wendy qui brandit son couteau avec des yeux terrifiés, elle n'est pas "active" comme Michael Myers ( Halloween ) mais "passive" dans la scène de l'ascenseur rouge qui déverse le sang qui vient éclabousser les murs blancs.
Kubrick prend là aussi tout le monde à contre-pied en instaurant la terreur par le personnage mais aussi par les décors en nous offrant un véritable feu d'artifice esthétique qui nous glace le sang.
Enfin, Shining prend une dernière fois le genre à revers par son scénario. Dans Shining, Kubrick nous montre que c'est dans le cadre même de la cellule familiale que naît la folie et l'horreur.
Regarder Shining devient donc rapidement , une épreuve aussi difficile pour le spectateur que celle, par exemple, de traverser un couloir sombre en pleine nuit dans lequel on croit voire une ombre indistincte bouger.
Kubrick propose donc bien plus qu'un simple film d'horreur, mais une réflexion personnelle et subtile sur les mécanismes de la folie .C'est en adaptant à ses exigences le film d'horreur que Kubrick en propose l'incarnation ultime et indépassable.