Tout le monde connait aujourd'hui l'anecdote comme quoi Stephen King détestait l'adaptation de son roman par Kubrick parce qu'il la jugeait trop cérébrale et pas assez viscérale mais lorsqu'on y réfléchit vraiment n'est-ce pas le rôle d'une adaptation de proposer une vision différente de celle de l'auteur ? Shining racontait l'histoire d'un écrivain alcoolique aux prises avec les démons habitant dans un hôtel isolé du Colorado, l'Overlook, ces derniers le poussant progressivement à tuer toute sa famille. Sauf que Kubrick s'intéressait moins aux rapports familiaux qu'à la lutte des classes entre un écrivain raté issu du prolétariat et un hôtel hanté par les fantômes d'une classe supérieure jouant sur ses frustrations et son désir de reconnaissance pour le transformer petit à petit en tueur bestial digne du célèbre conte Les Trois Petits Cochons de James Halliwell. Tout le film pouvait se résumer à ce labyrinthe végétal entourant les lieux parce que c'est précisément ce qui attendait les trois protagonistes, la plongée dans un labyrinthe tortueux emprisonnant l'esprit de ses locataires pour mieux les manipuler jusqu'à leur anéantissant final et inéluctable. Stanley Kuckrick faisait d'ailleurs beaucoup virevolter sa caméra afin de nous perdre dans l'Overlook et nous plonger dans le même sentiment de malaise subit par les autres protagonistes, par petites touches et de nombreux messages subliminaux distillés ça et là dans chaque pièce de l'hôtel maléfique afin d'installer une atmosphère de terreur sourde d'une formidable intensité. Il fallait aussi souligner la performance des deux acteurs principaux, tout d'abord un Jack Nicholson impérial dans la peau d'un individu médiocre sombrant avec délectation dans la folie mais aussi Shelley Duvall poussée dans ses derniers retranchements par un Kubrick sadique afin d'incarner cette mère de famille totalement dépassée par la situation extraordinaire devant laquelle elle doit faire face. On peut donc dire sans se tromper que Shining représentait la quintessence du film d'épouvante de part sa mise en scène virtuose, son scénario ingénieux transformant l'Overlook en mise en abime de la société humaine et ses interprètes complètement en osmose avec leurs personnages, un conte aussi fascinant que cruel jouant sur nos peurs les plus profondes comme la solitude, la folie, la mort, la décrépitude sociale ou encore l'addiction. Une master class en somme.