La filmographie de Stanley Kubrick est aussi riche que variée, et parmi ses 13 longs-métrages, Shining est sans aucun doute l’un des plus populaires. Jusqu’ici, j’admettais volontiers sa qualité, sans vraiment voir en lui un chef d’oeuvre. Je l’avais déjà vu à deux reprises, mais c’est au troisième visionnage que j’ai été en mesure de dénicher de nouvelles perspectives qui ont largement modifié mon rapport au film. Et si tout (ou presque) a déjà été dit à son sujet, j’y trouve l’opportunité d’apporter une modeste pierre à l’édifice.
Shining, c’est une ambiance qui s’empare immédiatement de vous. Ces paysages sauvages, cette musique reconnaissable entre tous, ces plans très larges… De prime abord, tout semble aller bien, mais la menace plane, et le spectateur sait que quelque chose de mauvais se trame. Stanley Kubrick aimait varier les registres et les genres, et son exploration du cinéma d’horreur ne fait ici pas exception dans sa capacité à mettre à profit son perfectionnisme maladif. Car Kubrick aimait la perfection, c’était un artiste qui devait faire face à sa propre exigence. La création artistique est un véritable défi, et c’est l’un des principaux sujets de ce Shining.
Jack Torrance cherche un travail pour gagner de l’argent, et cette place dans un hôtel fermé en hiver est parfaite pour se recentrer sur l’essentiel et travailler sur le roman qu’il veut écrire. Le temps passe, mais l’inspiration ne vient pas, et avec ce manque d’inspiration, la folie se met à menacer de plus en plus Jack et sa famille. En effet, Jack est décrit comme un personnage malade, qui a une famille, mais qui devient incompatible avec elle, l’enfermant dans cet hôtel qui matérialise une conscience pleine d’aspérités, regorgeant de couloirs infinis, où la notion de temps s’efface pour mettre en lumière un mal-être de tous les temps.
C’est la représentation de la solitude, du dévouement total à un accomplissement personnel qui est ici exposé à travers l’évolution du personnage de Jack. Pour ce faire, la mise à contribution du cadrage et le travail sur la mise en scène sont essentiels pour franchir la limite entre l’expérience visuelle et l’expérience sensorielle. Les travellings sont légion, la caméra glisse dans les espaces et dans les couloirs, appuyant les perspectives et nous retenant prisonniers entre les murs, ne nous laissant d’autre choix que de reculer ou d’avancer vers l’inéluctable. Les personnages secondaires, notamment Wendy, la femme de Jack, et Danny, son fils, contribuent à la mise en perspective des différentes réflexions offertes par Kubrick dans Shining. Wendy réagit en commençant pas le déni, puis la peur et la panique, quand Danny semble déjà conscient de tout grâce à ses dons, jusqu’à être lui-même pris par la panique. L’évolution de ces deux personnages permet de montrer les effets de la folie destructrice de Jack, en les faisant agir en dehors de sa propre conscience.
Shining est un film qui fascine grâce à ses scènes iconiques, à son ambiance captivante et, entre autres, à la performance inoubliable de Jack Nicholson, soutenue par celle de Shelley Duvall et de Danny Lloyd. Comme à son habitude, Kubrick propose un film tout en maîtrise, avec une dimension très personnelle prenant le pas sur le travail d’adaptation initial. C’est surtout un film qui ouvre de multiples perspectives, et qui se veut ouvert, en plus de la trame principale proposée, pour laisser au spectateur le soin de se l’approprier à sa manière et d’y trouver ses propres questions et réponses. Un film fait pour être vu plusieurs fois pour tenter d’en saisir l’essence, et tenter de sortir de ce labyrinthe mental, chacun trouvant sa propre porte de sortie.
Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art