Une ambiance insidieuse, des cadrages et des angles de vue qui témoignent de la maîtrise technique époustouflante d'un réalisateur au sommet, de l'angoisse à l'état pur, une partition oppressante, un Nicholson totalement habité par son personnage de dément... voila des éléments qui permettent à Kubrick d'installer une vraie terreur et de signer un sommet dans le genre. C'est un peu le résumé qu'on peut tirer de ce film qui pressure les nerfs par les délices de l'épouvante.
Les premières images aériennes sur les Rocheuses et sur une voiture qui roule sur une route sinueuse, sont normales et paisibles pour la famille Torrance, comme en réaction de la folie cauchemardesque à venir. Puis c'est l'intrusion dans cet hôtel Overlook, isolé en pleine montagne, on nous invite à visiter cet espace insolite, une enfilade de couloirs, de salons, des portes, des escaliers... c'est impressionnant, triste et rétro, on devine qu'il va se passer quelque chose d'affreux, on s'y attend, mais on ne sait pas quoi.
Avec la maîtrise technique et le sens esthétique qu'on lui connait, Kubrick a réalisé un simple film d'épouvante fondé sur les délices de la peur abstraite mais qui possède des charmes plus insidieux et plus pervers. Avec une intelligence diabolique et un sens du récit implacable, Kubrick envoûte le spectateur peu à peu, en distillant l'étrange, le bizarre qui se greffent sur la narration réaliste. Lorsqu'on éprouve un malaise, on le chasse, mais un autre surgit, plus insidieux, plus pénétrant. Kubrick suit le tricycle du gamin dans un ahurissant travelling au ras du sol, silencieux sur les tapis, bruyant sur les dalles, et l'emmène vers cette fameuse chambre 237 ; ceci n'est pas un simple détail, car Kubrick s'efforce de refroidir les clichés de l'épouvante, ce ne sont pas les images "épouvante" qui marquent ou qui effraient le plus, celles des visages convulsés, des corps pourrissants ou des hectolitres de sang au ralenti, l'épouvante est ailleurs. Dans le jeu de Nicholson, un peu forcé (mais le rôle l'exige), surtout dans la scène avec sa hache, dans cet enfant qui converse étrangement avec un alter-ego inventé, et qui peut voir les occupants victimes du drame vécu dans cet hôtel. Un des sommets d'angoisse est atteint quand Wendy découvre que le manuscrit tapé par Jack ne comporte qu'une seule phrase, celle d'un dicton moderne répété à l'infini.
Nous voici plongés dans un univers étrange où la réalité dérape, où le bon sens se dissout, où l'espace et le temps deviennent des notions immatérielles, nous sommes capturés par Kubrick qui nous a pris dans sa nasse, perdus dans un labyrinthe, un piège à maléfices, un lieu de terreur, on a la sensation d'entrer par effraction dans une quatrième dimension qui nous fait douter de notre raison. Le film reste aussi un festival de prouesses techniques avec la puissance folle des images et n'a pas fini de nous interroger avec son image finale énigmatique. Autant dire que c'est du grand Kubrick stylistique.