Fou d'élevage
Véritable uppercut aux noir et blanc fantastiques, Shock corridor remue sans ménagement une société américaine dont les travers sont disséqués par un Samuel Fuller remonté qui ne mâche pas ses mots...
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le 9 avr. 2015
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Shock Corridor, jouissant d'une certaine réputation (figure parmi les 85 films à voir selon Scorsese, les 1000 films à voir avant de mourir selon le New York Times) tout en étant violemment rejeté pour sa caricature du milieu psychiatrique et son propos écrit à la craie blanche, n'est certainement pas sans défauts. On pourra citer déjà un montage absolument catastrophique, avec un découpage d'étudiant de première année lors de scènes de dialogues, ou encore pas mal de raccords foireux. Franchement, un raccord dans l'axe après un travelling arrière, faut limite le vouloir et j'aurais d'ailleurs cru à cette volonté si ça n'avait pas été fait à des moments complètement aléatoires et de manière pas suffisamment systématique pour signifier quelque chose. Pourtant, avec ce thème de la folie il y aurait eu moyen de faire quelque chose de grand, et c'est là justement le problème principal du film : Samuel Fuller n'est pas, en tout cas ici, un cinéaste qui maîtrise sa mise en scène. Et il n'est certainement pas subtil.
Mais, Samuel Fuller est plein de fougue, rempli de rage irrévérencieuse et critique, d'un désir d'inventivité esthétique complètement fou. Je l'imagine d'ailleurs assez bien en train de réaliser ce film avec Le Figaro de Rossini en boucle dans les oreilles, tout comme moi à l'heure où j'écris cette critique. Précisément, l'utilisation de cette composition est une idée géniale en accord total avec le film : celui d'un opéra complètement fou, exubérant, dirigé par une main tremblante mais passionnée.
Une main de maître aurait sans doute donné un chef d'oeuvre total, au lieu de ça on se retrouve avec un film dont on ne sait pas trop quoi faire ni penser. Faut-il condamner le propos très appuyé sur le miroir que tend Fuller à son propre pays en pleine guerre froide ? Oui, sans doute. Mais on aurait aussi tort de le juger trop sévèrement alors que le film date quand même de 1963, c'est à dire un an avant Point Limite et Docteur Folamour, douze avant Vol au-dessus d'un nid de coucou (qui, au passage, n'est pas beaucoup moins cliché sur le milieu psychiatrique). Certes, la date ne fait pas tout, mais faire un film aussi féroce à cette époque sur des thèmes qui lui sont contemporains demande un certain courage et force de caractère.
Au final, j'ai rarement vu un film représentant aussi bien la transition entre le classicisme du film noir des années précédentes et la transgression des années 60 et de la décennie suivante. Shock Corridor développe ainsi un récit parfaitement linéaire et prévisible avec un meurtre, son enquête, ses témoins et son coupable, tout en étant parsemé de fulgurances esthétiques novatrices, comme ces rêves presque épileptiques en couleurs ou des surimpressions hallucinatoires parfaitement réalisées.
Ce corridor produit effectivement un choc chez le spectateur : un choc hystérique, nerveux et parfois grotesque (la séquence pitoyable des nymphomanes...), du fait des interprétations habitées des acteurs et leurs monologues saisissants, du noir et blanc il faut le dire assez magnifique, et de quelques séquences d'une violence psychologique qui fait encore effet aujourd'hui. Un choc qui ne sera pas partagé par tous, qui préféreront y voir un film raté, boursoufflé et grossier. En tout cas, il me semble qu'on ne pourra pas lui enlever le fait qu'il fut une inspiration pour un certain nombre de films par la suite.
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Créée
le 30 mars 2016
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