Ce film est la première partie d’un dyptique dont il est impossible de savoir ce que l’ensemble peut donner, même si c’est vraiment bien engagé. Comment voir cette partie sans réclamer la seconde ?
Le prologue présente en quelque sorte les données du problème. Dans une école japonaise, la fille d’un industriel arrive en cours d’année. Dans sa nouvelle classe Emili s’intègre à un groupe de filles de son âge (8 ans). Cela se passe bien, on les voit jouer ensemble, aller les unes chez les autres, nouer des liens de complicité. Par contre, dans le même temps, la mode étant aux poupées françaises, on observe que celles-ci disparaissent sans la moindre explication.
Et puis, voilà le groupe des 5 filles à jouer au volley dans la cour de récréation (où bizarrement, elles semblent bien seules). Là, un homme s’approche et demande si l’une d’elles pourrait l’aider. Il a besoin de main d’œuvre dans le bâtiment juste à côté. Hésitation des filles. L’homme désigne alors Emili : au hasard ? Les autres disent qu’elles peuvent y aller elles aussi. Mais Emili dit que, puisque c’est elle qui a été désignée, c’est à elle d’y aller. Les autres protestent mollement et laissent leur nouvelle camarade assumer son engagement. Son destin en fait, puisqu’elle est agressée dans l’école et que, peu de temps après, les 4 filles inquiètes de ne pas la voir revenir, la découvrent ensanglantée, allongée sur le sol. Elles s’organisent pour appeler du secours, mais il est trop tard.
La mère est folle de douleur et surtout folle de rage après les 4 filles, car celles-ci se disent incapables de donner le moindre élément de description de l’assassin. Précision importante, la séquence où les 4 filles ont vu l’homme qui a emmené Emili est filmée de façon à ce que le spectateur ne voie jamais son visage. Il est habillé décontracté, plutôt sport, c’est tout ce qu’on peut savoir. Ensuite, le spectateur observe juste Emili subir un début d’agression dans le bâtiment. Et, si la police enquête et considère les fillettes comme les témoins du crime, c’est parce qu’elles sont les dernières à avoir vu Emili vivante. Ce statut de témoins justifie l’attitude d’Asako la mère d’Emili. Mais les fillettes ne sont arrivées sur les lieux du drame qu’après la mort d’Emili. Elles n’ont pas vu ce qui s’est passé, même si plus tard l’une d’elles le fantasme dans un cauchemar. D’autre part, un suspect est arrêté puis innocenté, mais on ne sait absolument pas sur quelle base il a été soupçonné. Après la projection de cette première partie (environ 2 heures pour un total qui sera supérieur à 4), il est impossible de se prononcer quant à l’issue de l’enquête policière.
Le prologue n’est pas sans rappeler celui de « Mystic river » et, si la suite diffère en ce sens qu’Emili a bel et bien été assassinée, comme dans « Mystic river » la suite montre les conséquences psychologiques sur les survivantes. Ce premier film montre les conséquences pour Sae et Maki, 15 ans après le drame. Chacune va être confrontée à une situation inattendue, où la blessure intime liée à l’assassinat d’Emili, leur attitude à ce moment particulier de leur vie, l’incapacité de fournir un témoignage utilisable et leur confrontation avec la mère d’Emili, tout cela ressort pour influencer fortement leur comportement. Il faut dire qu'Azako leur a demandé (exigé !) une compensation. Comme si on pouvait compenser la perte de son enfant à une mère. Elles sont très jeunes, encore sous le choc et donc fortement marquées par ce face à face où la mère d’Emili, par son attitude, les force à prendre un engagement impossible, parce qu’elles commencent à culpabiliser (Shokuzai signifie pénitence). D’ailleurs, j’observe que cette façon de contraindre quelqu’un à accomplir quelque chose qu’il ne souhaite pas vraiment est une constante dans ce que vivent encore Sae et Maki jeunes adultes.
La suite se présente en deux parties, une pour chacune des deux filles qui « voulaient se souvenir », 15 ans plus tard, alors que la mère d’Emili est toujours à attendre qu’on tienne les promesses tenues. On réalise bien entendu que tous les éléments d’information enregistrés dans le prologue peuvent avoir leur importance, même si certains peuvent éventuellement mener à des fausses pistes.
Pour ce qui est de l’atmosphère générale, des comédiens et de leurs interprétations, c’est du beau travail qui sert toujours la mise en scène. Le scénario complexe réserve et promet des surprises.
La mise en scène de Kiyoshi Kurosawa est sobre, avec des décors souvent dépouillés, aux couleurs plutôt froides. Jeunes, les filles sont très BCBG, en jupes droites bien sages. Elles vivent dans un univers plus ou moins aseptisé. Le film se concentre sur ce que vivent Sae et Maki pour tenter de se faire une place dans une société impitoyable où les tueurs psychopathes surgissent de nulle part pour frapper aveuglément. Malgré toute leur bonne volonté, Sae et Maki sont marquées par leur passé.