"´know me, I'm alone"
Avant de vous ouvrir son coeur et sa fleur, "Showgirls" a deux secrets a vous révéler à propos de son personnage principal. Le premier est un subtil jeu de mots. "Nomi Malone" est une danseuse...
le 26 nov. 2016
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Lorsque Showgirls de Paul Verhoeven est sorti en 1995, il fut accueilli par une volée de critiques acerbes, taxé d’œuvre vulgaire et de spectacle absurde. Pourtant, à mesure que les années ont passé, ce film s’est transformé en objet d’étude pour les cinéphiles et les penseurs, devenant un classique controversé et culte. Sous son vernis outrancier de paillettes et d'érotisme explicite, Showgirls est une œuvre profondément subversive, une critique acerbe du rêve américain, un commentaire sur le capitalisme dévorant et une exploration des dynamiques de pouvoir et de désir.
Au centre de Showgirls, se trouve Nomi Malone (Elizabeth Berkley), une jeune femme mystérieuse qui arrive à Las Vegas avec le rêve de devenir danseuse. Ce récit classique d’ascension sociale emprunte les codes du mélodrame et de la tragédie grecque : une protagoniste ambitieuse, une quête de reconnaissance et une chute inévitable. Cependant, Verhoeven déjoue les attentes du spectateur en dépeignant Nomi non pas comme une héroïne inspirante, mais comme une figure contradictoire, à la fois victime et complice d’un système oppressif. Nomi est un personnage paradoxal : une femme déterminée et indépendante qui, dans sa quête de succès, accepte les compromis les plus dégradants. Elle incarne une tension fondamentale : peut-on atteindre ses ambitions dans un monde structuré par des rapports de pouvoir inégalitaires sans se corrompre soi-même ? La réponse du film semble être un non catégorique.
Showgirls est souvent lu comme une parabole du rêve américain perverti par le capitalisme. Las Vegas, ville de tous les excès, devient une métaphore de ce rêve : une façade brillante qui dissimule un abîme de violence, de cynisme et de désespoir. La trajectoire de Nomi, qui gravite des clubs de strip-tease minables à la scène prestigieuse du Stardust, ne conduit pas à une véritable émancipation, mais à une forme d’aliénation accrue. Verhoeven s’attaque ici à l’illusion de la méritocratie. Le système représenté dans Showgirls n’offre de récompense qu’à ceux qui sont prêts à exploiter, manipuler et détruire les autres. L’ascension sociale de Nomi passe par des actes de trahison et de violence, notamment lorsqu’elle sabote la carrière de Cristal Connors (Gina Gershon), son mentor et rivale. Cette dynamique, profondément darwinienne, illustre un système dans lequel la réussite ne peut être atteinte qu’en sacrifiant sa moralité et son humanité.
La sexualité occupe une place centrale dans Showgirls, mais elle est loin d’être glamour. Verhoeven, fidèle à son approche provocatrice, filme les corps féminins avec une intensité quasi clinique. La nudité et l’érotisme, omniprésents, sont utilisés non pour exciter, mais pour déstabiliser le spectateur. Les danseuses, réduites à des objets de désir dans un univers dominé par les hommes, naviguent dans un espace où leur sexualité est à la fois leur principale monnaie d’échange et une source constante de danger. La scène où Molly, l’amie de Nomi, est brutalement agressée par une star masculine symbolise cette dynamique de domination. Ce moment, choquant et dérangeant, brise définitivement toute illusion de légèreté. Verhoeven met ici en lumière une vérité cruelle : dans ce monde, la sexualité est un outil d’exploitation, et le système de pouvoir qui en découle est fondamentalement violent.
Un des aspects les plus mal compris de Showgirls lors de sa sortie fut son esthétique ostentatoire et outrancière. Mais loin d’être une simple faute de goût, cette approche est une satire délibérée. Verhoeven adopte une esthétique kitsch pour critiquer l’artificialité de l’industrie du divertissement et du consumérisme. Les costumes extravagants, les chorégraphies exagérées, les dialogues volontairement caricaturaux : tout dans le film est conçu pour révéler le vide derrière l’apparence. Ce choix esthétique est cohérent avec la thématique générale du film. Las Vegas, symbole de l’excès capitaliste, n’est qu’un gigantesque simulacre. Les relations humaines y sont superficielles, les valeurs morales y sont inexistantes, et la beauté elle-même est dégradée en marchandise. Verhoeven se moque autant du spectacle que des spectateurs qui en sont complices.
Un autre thème central de Showgirls est celui du pouvoir. Verhoeven explore comment les personnages utilisent le sexe, la manipulation et la violence pour maintenir ou renverser les rapports de force. La relation entre Nomi et Cristal illustre cette lutte acharnée. Cristal, dans son rôle de diva dominante, voit en Nomi une version plus jeune et plus affamée d’elle-même. Leur rivalité est à la fois destructrice et étrangement intime : elles partagent une compréhension mutuelle de ce qu’il faut pour survivre dans ce monde cruel. La trajectoire de Nomi culmine dans un acte de vengeance final contre le viol de Molly. Cet acte, bien qu’extrême, marque une rupture avec les codes du monde qu’elle a intégré. Cependant, son départ de Las Vegas ne symbolise pas une libération triomphale, mais une fuite ambiguë, laissant le spectateur incertain quant à son avenir.
L’un des aspects les plus fascinants de Showgirls est sa capacité à forcer le spectateur à se confronter à sa propre complicité. En exagérant les tropes de la sexualisation et de la violence, Verhoeven pousse à l’extrême ce que d’autres films font de manière plus insidieuse. En cela, Showgirls agit comme un miroir déformant, révélant les attentes voyeuristes du public et la banalisation des dynamiques d’exploitation dans le cinéma et la société.
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Créée
le 15 nov. 2024
Critique lue 5 fois
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