Shutter Island par BlueKey
Décidemment, au début de la décennie 2010, les movie brats italo-américains des années 70 sont sur le retour. Après Francis Ford Coppola qui nous gratifiait d’une œuvre d’art complexe et fascinante en guise de cadeau de Noël, c’est au tour de Martin Scorsese de nous livrer une petite perle cinématographique, j’ai nommé Shutter Island, film fantastique qui nous laisse sur les rotules par son rythme effréné et son scénario coup de poing.
A mi chemin entre Le Cabinet du Dr Caligari (l’idée générale) et Shining (le jeu permanent avec le doute fantastique, l’utilisation de la musique de Penderecki), le tout baignant dans l’atmosphère d’un film noir des années 50, Shutter Island est le fruit du travail d’un cinéaste cinéphile désireux d’apporter sa pierre à l’édifice d’un genre déjà bien exploité. Son personnage principal, le marshal Teddy Daniels, imperméable et chapeau feutre sur le crâne, s’enfonce dans un univers expressionniste fait de visions inquiétantes et de dédales obscures, reflets effrayants d’un cerveau torturé. De ces apparences trompeuses issues de cavernes secrètes il devra s’acquitter, pour rejoindre le réel le plus inacceptable en haut d’un phare, tour mystérieuse dont l’ultime étage renferme la vérité, à la manière du clocher de Vertigo. Pour autant, Shutter Island échappe à ces références et au matériau original de Denis Lehane, pour être aussi une œuvre tout à fait scorsesienne. La lutte violente qu’entretien ce héros solitaire et paranoïaque, qui n’a absolument « aucun ami » comme lui apprend l’un des fantômes qui peuplent sont esprit, face à un monde extérieur agressif, n’est pas si éloignée de celles de Travis Bickle, de Sam Rothstein ou bien d’Howard Hughes. D’ailleurs on ne s’étonnera pas de trouver culpabilité et impossible rédemption comme motifs de la folie et des visions répétées d’une fillette demandant à être sauvée. La scène la plus symbolique sera celle du flash-back, percutante et magnifiquement mise en scène, dans laquelle le sang recouvre les mains de l’époux perdant à l’instant même la raison.
Cette même scène, véritable clé du film, se voit surtout marquée par le jeu exceptionnel de Leonardo Di Caprio qui y atteint son paroxysme. Il offre pour Shutter Island probablement sa meilleure composition, gagnant en subtilité et ouvrant son éventail de jeu, quoique conservant son air renfrogné qu’il semble vouloir instituer en marque de fabrique. Les autres acteurs qui composent la distribution y sont tout autant remarquables, principalement Ben Kingsley et Max von Sydow en psychiatres tout à fait troublants – leurs interprétations se complètent parfaitement pour nous inquiéter doucement. Comme dans sa dernière fiction, Les Infiltrés, Martin Scorsese n’est pas avare en idées géniales de mise en scène. Aidé par un excellent choix de musiques symphoniques, son film prend aux tripes dès les premières images et nous lâche encore secoués. Ayant étonnamment bien compris les rouages du fantastique (son seul film s’en approchant vaguement étant Les nerfs à vif), il parvient à faire de ce voyage sur Shutter Island un parfait moment d’effroi – on regrettera peut-être l’aspect cliché de certaines hallucinations rêvées, vers le milieu du film, si l’on veut faire la fine bouche – mais aussi une œuvre intelligente et captivante. Si bien qu’en quittant cette île en fin de séance, on n’a qu’une envie… y retourner pour y dénouer les nombreux mystères.