Shutter Island déboule furieusement à l'écran. Sans répit, il enchaîne les coups, sans vaciller, il encaisse. Mais comme toute entité pourvue d'énergie, il se délaye et laisse place, petit à petit, à la névrose, si ce n'est la neurasthénie. Epileptique, puis cataleptique, il entraîne le spectateur dans sa foulée pour le faire sombrer dans la folie de « Teddy », le protagoniste Marshall. Débarquant, le spectateur est aux aboies, sollicité de partout par tous ces appels vociférant de représentants de la loi qui ne lâchent rien de leur droit d'autorité. Sur la défensive, Andrew Laeddis, alter-ego de Teddy, ne botte jamais en touche, conformément à son acolyte, Chuck, lui aussi marshall et enfermé dans cette aventure sur l'île de Shutter Island. Tandis que l'investigation progresse, et que notre brillant marshall à la belle gueule DiCaprienne croit voir de plus en plus clair dans le jeu d'une conspiration montée de toute pièce par des scientifiques amoraux analogues aux expérimentateurs nazis, des doutes quant à sa bonne santé mentale surviennent. Disséminés par des indices, glissés de ci de là par un réalisateur à l'oeil et la malice aiguisés, le spectateur se fait lui-même l'enquêteur d'une affaire parallèle : celle de la présumée véracité de l'histoire qu'on veut bien lui raconter. Alors lui-même partisan de la thèse du complot, il subodore la machination dans tous les plans subjectifs qu'il peut déceler. Mais apte au nombrilisme et au libre arbitre, il peut lui-même percevoir que sa raison est friable : comment, en toute honnêteté, faire la part entre le réel et l'imaginaire sans compromettre l'intrigue et, à l'instar du héros, se compromettre soi-même ?

Une plongée en Enfer, lente vers l'agonie, nourrie aux illusions d'optique d'une démence qui se fait de plus en plus patente. D'un traitement de choc, à base de médicaments et autres substances neurologiques et thérapeutiques prescrites à Teddy, émanent de contagieuses visions qui troublent à leur tour l'entendement du spectateur qui suppute alors qu'il s'est égaré en chemin, qu'il ne peut faire que fausse route. Des questions, diffuses et informes, l'assaillent : Où se situe la vérité ? En quelles paroles, en quelles images, en quels personnages ? Mais alors, en qui et en quoi se fier ?

La tautologie que je vous sers à tour de bras n'a pour but que de vous démontrer que l'identification au personnage principal fonctionne à merveille, et donc que le contrat premier du cinéma, qui est de communiquer des émotions par le vecteur de l'Image, est rempli haut la main.

Nonobstant, même si l'on peut regretter une mise en scène tous azimut qui enfile les premières scènes comme des perles contigües qui compressent le patient sans lui laisser la moindre bouffée d'air, on ne peut que saluer le travail d'orfèvre que nous livre un Scorsese dont la mission d'adaptation d'un roman à grand succès semble avoir été brillamment accomplie.
Adrast
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes "Merde, je vais devoir revoir le film" et Les meilleurs films de 2010

Créée

le 14 déc. 2010

Critique lue 427 fois

1 j'aime

Adrast

Écrit par

Critique lue 427 fois

1

D'autres avis sur Shutter Island

Shutter Island
nm-reader
10

L'empathie du psychiatre, selon Scorsese

"Shutter island", est au départ un roman de Dennis Lehane, spécialiste des scénarios complexes, parfaitement taillés pour être adaptés au cinéma. En témoignent les "Mystic river" et "Gone baby gone",...

le 22 déc. 2013

170 j'aime

27

Shutter Island
Torpenn
2

Lourd dingue

Il n'y a rien de pire à supporter qu'un film qui veut créer une ambiance par tous les moyens et qui n'arrive qu'à vous faire bâiller d'ennui ou frémir d'horreur devant tant de bêtise et de...

le 4 janv. 2011

133 j'aime

276

Shutter Island
real_folk_blues
3

Va phare enculo

Moyennement convaincu mais néanmoins plutôt séduit par l’aspect esthétique lors d’un premier visionnage, c’est avec un sentiment mêlé d’agacement et de consternation que je réceptionne pour la...

le 4 févr. 2013

73 j'aime

24

Du même critique

Comprendre l'empire
Adrast
6

Comprendre 1/10ème de l'empire

Avec un titre aussi prétentieux, accolé au sulfureux nom d'Alain Soral, il est facile de frémir, de se dire "merde, lire un truc de facho c'est déjà être un peu facho". Et puis on se dit que ce...

le 17 mai 2013

25 j'aime

5

Persepolis
Adrast
4

Court d'Histoire, long de clichés.

Je partais avec un a priori négatif. Après quelques minutes, j'ai révisé mon jugement pour apprécier l'univers pas si niais et rondouillard que j'imaginais. Puis je me suis ravisé. Tout au contraire,...

le 27 mars 2011

24 j'aime

13

Samurai Champloo
Adrast
5

Douche froide.

D'emblée, Samurai Champloo se laisse regarder en se disant qu'on voit un énième manga détroussé de son scénario, foutu aux oubliettes avec son cousin l'originalité. L'absence d'intrigue est ce qui...

le 23 févr. 2011

21 j'aime

9