Ce mercredi 26 mai 2021 sort le premier film de Nora Martirosyan, intitulé « Si le vent tombe », traitant de l'existence et la survie de l’état auto-proclamé du Haut-Karabakh, dont le destin vient, lui aussi, de faire une triste nouvelle entrée dans l'actualité.
En cette nouvelle semaine cinématographique, sort le premier long métrage de Nora Martirosyan, intitulé « Si le vent tombe » (« Should the wind fall »), et qui nous présente la situation terrible de la population arménienne du Haut-Karabakh, État à l'indépendance auto-proclamée de l’Azerbaïdjan, du fait de son rattachement décidé en signe de représailles, par le pouvoir soviétique, en 1921, alors région autonome, constituée à 94% d'une population arménienne, et qui vient de revenir au premier plan de l'actualité internationale.
C'est suite à une première visite dans cette région-Etat, que Nora Martirosyan décide de parler de l'absurdité que le concret de l'existence de cette terre et des gens qui y (sur)vivent, avec tous les gestes, mais aussi les sentiments, du quotidien, soit politiquement nié, au point que cet Etat n'existe même pas, officiellement, sur les cartes géographiques du monde, son indépendance n'ayant jamais été officiellement reconnue par la communauté internationale. Ce constat que s'est fait Nora Martirosyan, elle l'a, d'ailleurs mis dans la bouche du responsable de l'aéroport de Stepanakert (capitale du Haut-Karabakh), pour faire comprendre à Alain, français mandaté pour faire l'audit qui permettra – ou non – à cet aéroport, ouvert depuis des années, de pouvoir, enfin, démarrer son activité en y faisant atterrir et décoller des avions civils, à quel point il est crucial, pour ce tout petit Etat, d'avoir son aéroport réellement en fonction, car conduisant à la reconnaissance internationale de l'existence de ce pays.
Comme on le comprend aisément, ce film est celui d'un engagement politique, pointant la réalité – et donc la complexité -, des relations internationales entre États, et l'équilibre, souvent précaire, à trouver pour éviter que des conflits ne naissent ou réapparaissent. Mais « Si le vent tombe » est tout autant un chant d'amour à un peuple, en rappelant ses souffrances – avec les rappels à cette guerre si sanglante qui durant trois ans, au début des années 1990, mais que la communauté internationale ne vit pas vraiment, préoccupée par une autre terrible guerre civile et d'indépendance, qu'était celle de l'ex-Yougoslavie.
Cette démonstration d'amour de la part de la réalisatrice Nora Martirosyan pour ce pays qu'est le Haut-Karabakh, et sa population, est flagrant par plusieurs éléments du film, dont, au niveau du récit, celui de l'histoire d'Edgar, enfant qu'Alain rencontre sur l'une des pistes désertes de l'aéroport de Stepanakert, tandis qu'il se déplace avec deux grandes bouteilles d'eau de cinq litres, et dont on découvre, très vite, qu'il vend celle-ci pour un projet d'avenir hors de la misère. L'espoir de ce tout jeune garçon est l'un des grands messages que souhaite faire passer la réalisatrice et elle fait donc, de ce personnage, l'autre protagoniste principal de ce film, nous le montrant mener son existence quotidienne. Il est d'autant plus le symbole des aspirations des habitants de ce pays qu'il sert même de sorte de révélateur principal à Alain sur l'importance du résultat de l'audit qu'il doit rendre et du poids que cela aura sur l'avenir de tous ces gens qui, officiellement, n'existent pas dans l'échiquier politique mondial. Et puis ce jeune Edgar, en étant le vendeur d'eau, est aussi celui qui vient soulager, désaltérer, apporter la vie – et donc l'espoir – à tous ces concitoyens.
Du point de vue de la réalisation, on n'est pas surpris de savoir que, jusqu'à ce tout premier film, Nora Martirosyan menait une carrière d'artiste-peintre. Que ce soit par sa façon de cadrer les paysages du Haut-Karabakh – et particulièrement ceux des abords directs de cet aéroport désert, avec, à deux reprises, la vue subjective d’Alain, et qui donne toute sa réalité physique à ce pays qui est niée par le monde, pour des raisons politiques, par sa présentation du cadre de vie du foyer d'Edgar, tout est représentation picturale vivante dans les cadres décidés par Nora Martirosyan qui sait, d'autant mieux, nous faire comprendre le message qu'elle souhaite transmettre, non seulement à chaque scène, mais, carrément, à chaque plan. D'ailleurs, pour que ces images puissent nous parler d'autant mieux, la réalisatrice a eu l'intelligence de ne pas les surchargées par la bande son, évitant de nous servir une musique appuyée pour provoquer une réaction émotionnelle primaire, comme le font tous les films manichéens (hélas devenu majoritaires). Ici, au contraire, c'est le silence qui sert à nous parler de façon éloquente, nous amenant à la réflexion qu'il provoque invariablement et qui explique pourquoi « on » nous contraint à subir la musique ambiante, parfois jusque dans les rues des villes.
Nous aurions pu vous parler d'encore bien des éléments de « Si le vent tombe » - dont sa scène finale dont les dernières secondes résume tout le message d'espoir de paix que nous délivre Nora Martirosyan dans ce premier long métrage, mais le mieux est de vivre vous-même ce film dans les salles de cinéma qui ont le bon goût et même l'intelligence de le projeter.
Christian Estevez
N.B. : critique disponible sur le site de "FemmeS du Monde magazine"
https://femme-s-dumonde.com/