Oubliez la Mongolie de carte postale, les cavaliers ancestraux, le vertige des steppes infinies et l’évasion comme horizon. Retour au réel avec Si seulement je pouvais hiberner, très beau premier long-métrage de la Mongole Zoljargal Purevdash. Le film, premier de l’histoire à représenter la patrie de Gengis Khan, en compétition au Festival de Cannes (en 2023), narre les mésaventures de trois jeunes – Ulzii, son petit frère et sa petite sœur – tentant de survivre à un rigoureux hiver dans un bidonville constitué de yourtes de fortune, en périphérie de l’océan de béton qui sert de capitale au pays : Oulan-Bator.
Ce territoire des marges raconte déjà beaucoup d’un pays désertique qui se désertifie d’autant plus que le nomadisme disparaît, pris dans l’orbite des rares grandes villes où se concentre l’essentiel des activités. Là, des cohortes de réfugiés économiques s’entassent dans ces taudis où le système D fait loi : 60 % des habitants d’Oulan-Bator vivent dans ces quartiers misérables.
L’ex-État communiste vacille sous le poids de ses inégalités, à l’image d’Ulzii (Battsooj Uurtsaikh). Fortiche en mathématiques et aspirant à prendre l’ascenseur social, le jeune homme bataille avec le poids de sa condition sociale, une mère absente, une fratrie à protéger et la quête permanente de charbon pour survivre au froid, le thermostat affichant – 35 degrés.
Fil rouge du film, la précieuse matière à brûler illustre une autre problématique : Oulan-Bator figure parmi les métropoles les plus polluées au monde. Les habitants des quartiers pauvres sont accusés d’intoxiquer l’atmosphère avec leurs épaisses fumées noires, mais c’est la seule solution énergétique dont ils disposent.
Et ils sont les premières victimes de ce mode de chauffage. Voilà, en quelques plans d’une subtilité et d’une élégance admirables, posée l’équation que le jeune héros, tout matheux qu’il est, devra résoudre et, à travers lui, l’humanité tout entière. Justice sociale et justice climatique, en surface, parfois opposées, mais irrémédiablement imbriquées.
C’est là la grande force du film, capable d’aller du particulier à l’universel avec une finesse rare. Zoljargal Purevdash puise ici dans sa propre histoire. Née en 1990, elle a grandi dans ce fameux bidonville de yourtes, où sa mère tenait une petite échoppe. C’est par les études et grâce à l’obtention d’une bourse qu’elle a pu apprendre la réalisation dans une université japonaise, loin d’un pays où l’industrie cinématographique locale se résume souvent à servir de décors à des blockbusters étrangers.
Pour des yeux et des oreilles occidentales, Si seulement je pouvais hiberner apporte donc un vent de fraîcheur bienvenu sur le cinéma social. Sa dimension exotique joue à l’évidence : sauf exception, nous n’avons jamais vu ces images, jamais entendu parler cette langue qui parfois claque et donne une musicalité inédite aux dialogues.