Sibel, muette depuis son enfance, âgée de 25 ans, vit avec son père et sa sœur dans un village isolé des montagnes de la mer noire en Turquie. Passant ses journées à travailler aux champs et à traquer un loup qui roderait dans les bois, elle croise un déserteur blessé.
Sibel est un drame de Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti sorti en 2019.
Le film décrit un épisode de la vie de Sibel, une jeune fille muette qui se fait comprendre par son entourage grâce à la "langue sifflée". Sibel a des relations difficiles avec Fatma, sa soeur cadette. Son père veuf, est épicier et maire du village. Sibel est une jeune fille solitaire qui est obsédée par un loup qu'elle croit à l'affût dans les bois environnants. A la recherche de l'animal, elle croise un déserteur blessé et lui porte secours. Cet homme suit un chemin différent, il est recherché par la police et l'armée qui le considèrent comme un terroriste.
Attention Spoilers
Radiographie de la société turque
Par le prisme des aléas du quotidien de son personnage principal, Sibel décrit assez finement, en creux, les valeurs et l'ordre qui règnent au fond des campagnes turques.
Sibel est muette. Travaillant dans les champs, elle est ostracisée par ses consoeurs qui voient dans son mutisme un châtiment divin. Craignant "le mauvais oeil", elles limitent leurs relations avec elle au strict minimum, l'occasion de constater, s'il était utile de le rappeler, les dégâts causés par l'absence d'éducation et le poids des superstitions. Même sa propre soeur ne l'apprécie pas, jalousant l'autonomie dont elle bénéficie du haut de ses 25 ans. Pourtant et en dépit de son handicap, Sibel a du coeur, elle aimerait consacrer son énergie à faire autre chose que de lutter contre l'adversité.
Sibel va prendre soin du déserteur et même en tomber amoureuse. Surprise par Fatma, la nouvelle va se répandre dans le village comme "une trainée de poudre". Les femmes, pourtant premières victimes du "patriarcat scélérat" et du sens de l'honneur qui va avec, seront les premières à agir contre Sibel et sa famille. Sibel sera "passée à tabac" dans les champs par des femmes ouvrières agricoles. Sa soeur, fiancée, verra son projet de mariage réduit à néant suite aux rumeurs accusant Sibel de "terrorisme". Même son père lui reprochera d'avoir mis en péril l'honneur de la famille.
Que de crimes n'a t- on pas commis en Turquie au "nom de l'honneur"....
Le "relativisme" des valeurs
Pour les autorités turques,héberger ou porter secours à un déserteur, c'est se rendre coupable de terrorisme.
D'ailleurs, celui ci finira par disparaitre, probablement éliminé par les militaires turcs. Comme l'amant de Narin, une vieille femme vivant à l'écart, qui a perdu la raison depuis l'enlèvement de son amant par les hommes du village et sa disparition, il y a bien longtemps...
A l'heure où la France s'interroge sur le retour sur le sol national des djihadistes français prisonniers des Kurdes, on constate qu'un déserteur, considéré dans la Turquie d'Erdogan comme un terroriste, peut être "neutralisé". Comme quoi, le relativisme des valeurs en fonction de la culture et de la géographie n'a rien d'imaginaire et que ce relativisme représente un fossé entre les civilisations.
Malgré une approche globalement assez noire et peu flatteuse pour la société turque des campagnes, le film se termine sur une note d'espoir. On y voit Sibel marchant fièrement tête nue, accompagnant sa jeune soeur à travers le village pour prendre le car scolaire, ignorant les quelques réflexions perfides et imbéciles lancées par quelques femmes voilées sur le pas de leurs portes, ces mêmes femmes voilées qui sont finalement, par leur attitude zélée, les premières artisanes de leur malheur.
Les chiens aboient, la caravane passe.
Souvent dur, Sibel est un film riche aux thématiques multiples sur la Turquie contemporaine.
C'est un bien plus beau manifeste pour les droits des femmes que n'importe quelle déclaration prononcée le 8 mars.
Son interprète principal, Damla Sonmez, est épatante!
Ma note: 7/10