Apocalypse Ñow
Ce qui fait de Denis Villeneuve, depuis maintenant quelques années, une véritable valeur sure du cinéma nord-américain, c’est qu’il est tout sauf un pur produit hollywoodien. Prisoners n’était pas...
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le 10 oct. 2015
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Le monde des cartels est aussi fascinant qu’il est sans concessions. Denis Villeneuve décide de s’y attaquer d’une manière crue, réaliste, bien loin de la glamourisation d’un Breaking Bad. Pour se faire, il s’empare du scénario de Taylor Sheridan qui initie ainsi sa trilogie de néo-western aux frontières des Amériques, complétée successivement par Hell or High Water et Wind River (qu’il réalisera lui-même). Un trip dans les coins reculés du nouveau continent où la survie se fait au dépend des autres.
Sicario est une exploration du bien et du mal, du compas (a)moral qui dirige les forces en action: narcos et gouvernement américain. Sur ce territoire de bêtes sauvages, jusqu’où peut-on aller pour se protéger? Quand les instances officielles en viennent à utiliser les mêmes méthodes barbares que les cartels, est-on encore en droit de croire en ce qu’elles sont censées représenter? En d’autres termes, la fin justifie-t-elle les moyens? Car il n’y a selon toute vraisemblance pas de règle qui vaille pour mater la lie de l’humanité. Mais peut-elle seulement être matée, ou est-elle une hydre immortelle? L’enfant orphelin, privé de père et donc de ressources, semble voué à s’impliquer à son tour dans la guerre, répétant ainsi le cycle.
Il est souvent reproché au cinéma de Villeneuve d’être froid. Mais je vois bien plus cela comme une qualité dans un récit d’une telle teneur thématique. Car les hommes dépeints sont désincarnés. Il n’y pas d’idéaux, pas de valeurs, seulement des ambitions qui ne sauraient ralentir pour quelques dommages collatéraux. Sicario est donc froid, implacable, haletant. Une expérience sensorielle qui ne s’essouffle jamais, passant de la tension au cordeau du redoutable Bridge of Americas à la terreur nocturne d'un tunnel où seule la chaleur émanant des corps laisse penser que ces assassins, d’un côté comme de l’autre, sont bien humains.
Si l’on entre dans le récit par l’intermédiaire de Kate (Emily Blunt, tout en subtilité), c’est pour mieux signifier le désenchantement d’une personne qui voudrait faire les choses dans les règles. Et à mesure qu’elle s’enfonce dans la nuit, qu’elle comprend de quoi il retourne, les méthodes employées effacent toute illusion. Une guerre n’est jamais propre. Arrivé à ce stade, le spectateur en est au moins point que l'agent du FBI. Il est donc prêt à être cueilli pour le final, où s’opère un changement de point de vue. On suit le sicario titulaire, Alejandro (Benicio del Toro, glaçant), qui va terminer le travail, loin du regard hypocrite de ses pairs. Elle et lui sont complémentaires. Elle est ce qu’il fût, il est ce qu’elle pourrait devenir en rentrant dans ce jeu. A ce titre, il voit en elle l’âme qu’il a perdu.
Une exploration des ombres menée à bien par la conjugaison des talents présents sur le projet. De la photographie de Roger Deakins naissent les jeux de lumière qui révèlent les doutes de Kate et enfoncent Alejandro plus avant dans les ténèbres. La frontière apparaît comme une cicatrice béante dans le désert, tandis que chaque plan du film pourrait être imprimé et affiché sur un mur, comme un tableau mortifère étouffant. Un sentiment exacerbé par la partition de Jóhann Jóhannsson, écrasante, venue à la fois des profondeurs terrestres et des cieux chargés en électricité. Pas tant une musique que l’on intègre qu’une palpitation, un pouls qui vient rendre compte du stress des protagonistes.
Sicario est sans manichéisme. Il écrase ses personnages contre les murs de la décence en extrait une sève amère. Si les cartels sont un ramassis d’ordures, les Etats-Unis le leur rende bien. Pas de patriotisme, pas de héros, juste une basse besogne qui n’est pas plus dénoncée qu’elle n’est justifiée.
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Créée
le 10 déc. 2024
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