Apocalypse Ñow
Ce qui fait de Denis Villeneuve, depuis maintenant quelques années, une véritable valeur sure du cinéma nord-américain, c’est qu’il est tout sauf un pur produit hollywoodien. Prisoners n’était pas...
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le 10 oct. 2015
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C’est le mois d’Octobre et en cette année 2015, les attentes des cinéphiles sont nombreuses pour le dernier trimestre et Sicario est le premier d’entre eux qui attiraient mon attention, et aussi le premier qui sortait. Car des réalisateurs de renom (en bien ou en mal) qui ont un film de prévu en ce mois d’octobre, ils sont nombreux : Guillermo Del Toro, Ridley Scott, Robert Zemeckis, M. Night Shyamalan ou encore Woody Allen, on n’aura pas le temps de s’ennuyer.
Sicario a eu l’occasion d’être présenté cette année au festival 2015 de Cannes, festival auquel Emily Blunt et Benicio Del Toro étaient présent, et d’avoir des avis généralement positifs. Ainsi qu’au Festival de cinéma américain de Deauville plus récemment ou il a clôt le festival avec les honneurs que ça soit auprès du public ou des critiques.
Révélé grâce à Incendies, notre ami québécois n’a pas chaumé depuis, à tel point qu’il lui a été attribué la tâche de réaliser une suite au Blade Runner de Ridley Scott en 2017, seulement… ouais, c’est sur que beaucoup de personnes ont et doivent encore être en train de gueuler à l’idée de faire une suite à un film de SF aussi apprécié par les fans du genre quand on voit que certaines franchise, se sont fait affreusement lessiver le derche dernièrement. Malgré tout, je ne pense pas qu’on ait à s’inquiéter pour l’instant, au contraire.
Comme beaucoup de gens, j’ai été surpris par Villeneuve et j’ai aimé/adoré chacun des films que j’ai vu du bonhomme. Incendies (bluffant), Prisoners (brillant) et Enemy (déroutant et fascinant) ont prouvé qu’il était un metteur en scène bourré de potentiel, jusqu’à maintenant il a fait un quasi-sans-faute et je me devais de voir son dernier film en date pour me préparer à cette future suite à l’un de mes films de SF préférés avec le premier film de Villeneuve que je voyais en salle.
Et au final, j’aurais juste 2 mots à dire : BRAVO DENIS ! Oui oui, j’insiste, bravo Denis, c’est comme ça qu’on fait un film noir de haute volée. En plus de rassurer pour Blade Runner 2 en 2017, Denis Villeneuve prouve son talent de cinéaste à suivre de très près pour les années à venir, Octobre ne pouvait pas mieux commencer décidément.
Parlons avant tout des acteurs et de leurs personnages : à commencer par Emily Blunt que je découvre pour la troisième fois derrière une caméra après Edge Of Tomorrow et Into The Wood. Elle interprète ici Kate Macy, agente du FBI idéaliste et à principe enrôlée par volontarisme dans une unité spéciale ayant pour but de renverser le Cartel de Juarez. J’ai trouvé l’héroïne étonnamment convaincante car, bien qu’idéaliste sur sa vision de la justice, Villeneuve ne tombe pas dans le piège d’en faire une gourde à se plaindre en permanence, une Bad-Ass sans transition crédible et inviolable, ni une chieuse de première qui nous les brises à la première occasion.
Non, ses réactions sont beaucoup plus dosés et réalistes en tant que spectatrice (parfois impliquée) des méthodes de l’équipe anti Cartel, elle se révolte quand elle y est opposé mais n’en fait pas trois milles tonnes et elle remet ses principes en question quand quelque chose de grave se produit mais ne les évinces pas pour autant. De plus, quand on voit qu’Emily Blunt l’interprète avec beaucoup de crédibilité, ça aide à vouloir s’identifier au personnage qui, ici, devient finalement une spectatrice. L’actrice a non seulement du charme à faire valoir en elle-même, mais elle fait passer beaucoup d’émotion à l’écran quand il le faut et arrive à rester en retenue lorsqu’elle doit être plus sobre devant la caméra. Franchement elle m’a épaté et je serais satisfait de la voir rejouer des rôles semblables à l’avenir.
Josh Brolin, que j’ais déjà pu apercevoir dans Inhérent Vice de Paul Thomas Anderson et Everest de Kormàkur cette année, a prouvé plus d’une fois qu’il était un excellent comédien et le démontre encore une fois ici en tant que chef d’équipe spéciale anti cartel. Et je le trouve aussi bien taillé pour jouer un personnage inspirant au moins un minimum de capital sympathie comme dans Everest qu’un semi- connard dans ce film. Ici, il joue en tant que Matt Graver, le chef d’équipe spécial chargé de faire face au Cartel de Juarez, même si il n’est clairement pas aussi mis en avant que les deux stars du film, il n’en demeure pas moins excellent et investie.
Parce que, oui, si il y a bien une chose que je retiendrais pendant longtemps de ce Sicario : c’est Benicio Del Toro qui vole clairement la vedette à Blunt et Brolin. Je n’avais pas retenu grand-chose de lui tant son rôle de Collectionneur chez Marvel et de Franky dans Snatch s’avéraient anecdotique. Ici il montre de quoi il est capable. En premier lieu parce qu’il a un putain de bon rôle en la personne d’Alejandro, le conseiller mexicain laissant de nombreuses interrogations et qui devient de plus en plus fascinant au fur et à mesure. Et puis ici, Del Toro (Benicio hein, pas Guillermo) a vraiment de la gueule et joue le meilleur personnage du film, énigmatique et brutal à la fois, il fascine et inquiète en même temps jusqu’au dénouement final.
Pour les autres acteurs, on a la présence de Daniel Kaluuya, un parfait inconnu en ce qui me concerne pour un rôle moins exposé que nos trois protagonistes centraux mais qui fait quand même bien le boulot et joue un ami d’héroïne au final sympathique. Jon Bernthal interprète un rôle beaucoup plus court, pas inutile loin de là et exploité comme il faut mais comme pour Kaluuya, il n’en devient pas mémorable non plus. Raoul Trujillo et Maximiliano Hernandez sont aussi, finalement peu présent mais font bien le travail.
Au final, on retiendra surtout notre trio de tête Blunt/Brolin/Del Toro déjà grâce aux talents des comédiens, mais aussi parce que Denis Villeneuve montre qu’il sait diriger un casting.
A la musique, on notera le retour du compositeur islandais : Johann Johannsson qui avait déjà travaillé sur la musique de Prisoners avec Villeneuve. Et s’il y a bien une chose positive qu’il faut noter, c’est qu’en terme d’ambiance, le travail fourni est très présent.
Ça ne cherche pas à offrir un thème en particulier, mais à installer une ambiance et elle est toujours placée astucieusement pour contribuer à l’aspect film noir à tension que nous promettaient les bandes-annonces. Sur 2 heures, elle est réduite au minimum nécessaire mais placé là ou il faut.
Et cette ambiance resplendit davantage grâce à la (superbe) réalisation de Denis Villeneuve, au bout de 5 films on apprend à reconnaître son style : les plans larges d’hélicoptère sur un ensemble d’éléments à l’écran, les plans fixes sur une figure ou un événement symbolique et drastique, des mouvements lents mais toujours calculés et précis avec un décor ou un cadre précis qui fait légèrement penser à No Country for old Men des frères Coen (pas impossible que Villeneuve ait été influencé), et évidemment son lot de séquence choc qui l’a fait connaître dans Incendies.
Dés l’introduction on est plongé directement dans le propos
avec ses mouvements lents mais précis et un travelling du point de vue du camion du SWAT en pleine intervention dans la région de Phoenix.
Les éléments s’installent, le rythme prend place et c’est toute une série d’élément symbolique auquel nous nous retrouvons confrontés sans le moindre contrôle.
Certains peuvent penser que Villeneuve va trop loin par moment avec le symbolisme décrit par la réalisation et que ça perd un peu en subtilité,
notamment avec les cadavres mutilés que Villeneuve expose avec une exposition de Alejandro sur le Cartel pour symboliser l’extrême violence du propos,
c’est vrai qu’il y a une petite impression de répétitivité, mais à vrai dire ça ne m’a pas tellement gêné. Au contraire, ça rend le propos plus réaliste et ça renforce la claque que veut nous donner le film.
La tension est particulièrement forte lors des scènes à tension, mais je retiendrais surtout
celle dans les tunnels que ça soit pour le suivi du groupe en lunette de vision nocturne, vécu par le point de vue de Kate grâce aux prises de vues et cadres adapté pour la vision d’un spectateur.
Ce qui m’amène à développer le dernier point du film, l’histoire. Dans la forme, elle est assez classique, voir un(e) agent(e) rejoindre une unité spéciale pour des opérations hors norme et exceptionnelle, ça a déjà été fait plusieurs fois. Mais dans le fond et l’écriture, il y a moyen d’ajouter sa patte et sa vision pour en sortir quelque chose, ce qui est amplement le cas ici. Énormément de bonnes choses se font sentir dans ce film noir.
Cela passe, tout d’abord, par l’exploitation qui est faite autour de Kate. Contrairement à ce qu’on pourrait croire malgré ses airs de garçon manqué en apparence dure, elle ne sera que spectatrice et rien de plus, c’est souvent elle qui fera passer les émotions et réactions du public : on passe par le choc et l’incompréhension ainsi que la vulnérabilité face auquel est confronté la jeune femme.
Elle nous permet aussi de nous confronter à l’univers tout simplement immonde opposant le Cartel et les forces d’intervention agissant au mépris de la loi pour foutre le bordel (comme le disait si bien Matt), mais en montrant tout de même les personnages sous un jour humain :
rien que le père du garçon footballeur à Nogales que l’on voit à quelques reprises et avoir une liaison parentale avec lui suffit à montrer cette humanité, humanité renforcée au moment ou son père interdit à son fils de toucher à son fusil (dommage qu’on n’ait davantage creusé leur relation en passant).
Pourtant, cette humanité se révèle, chez certains, une façade cachant une barbarie dont les origines sont aussi cohérente que monstrueuse. Et la meilleure scène, à mon sens qui démontre cela, est ce final jouissive et parfait qui justifie mon 9/10 et ma recommandation car elle justifie également le titre du film, Sicario qui signifie en traduction mexicaine tueurs à gages pour petit rappel.
La vendetta personnelle d’Alejandro témoigne de ce fait ou on le voit abattre le père de famille après l’avoir utilisé comme appât pour retrouver Manuel Dias (désolé si je l’écris mal) et atteindre l’homme qui a détruit la vie du mexicain en décapitant sa femme et en balançant sa fille dans une cuve d’acide. Au final, tout le film se révèle être une vengeance au cours duquel le groupe d’intervention utilisait le statut d’agent du FBI de Kate pour agir librement et permettre à Alejandro de commettre la pire forme possible de vengeance : Alejandro est alors montré, malgré ses motivations, comme le monstre qui lui a volé sa famille car faisant de même à son bourreau avant de l’abattre, l’effet étant renforcé par un plan fixe le long de la table du souper après avoir abattu une femme et deux enfants et la mort hors-champ de Fausto Alarcon, patron de Dias. Le film met un point d’honneur à cette duplicité d’apparence intérieur et extérieur lorsqu’il menace carrément de faire exploser la cervelle de Kate à son appartement pour rendre cet acte légal et impuni officiellement.
A ce moment là, nous sommes à bout de souffle et interloqué, comme Kate elle-même, et la claque a été reçu en pleine tronche. En fin de compte, la justice, on en vient à se demander si elle existe vraiment ? Et surtout si elle a une utilité avec le contexte de Sicario quand on voit à quel point la zone-frontalière est un lieu aussi pourrie d’un côté ou de l’autre au final.
C’est pour cela que, personnellement, je le classe sans problème dans mes films favoris de 2015 aux côtés de Mad Max : Fury Road et Vice-Versa, il a bien quelques légers soucis à relever comme le symbolisme un peu trop poussé ou une légère répétitivité pendant quelques minutes, mais pour le reste : acteurs, musique, ambiance, réalisation et scénario rendre le tout terriblement bon. Pour Blade Runner 2, j’y crois vraiment et je pense même que sa première adaptation d’œuvre de science-fiction Story of your Life sera une première tentative intéressante avec ce genre. N’hésitez pas à voir Sicario en salle, surtout si vous êtes amateur de film noir.
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le 11 oct. 2015
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Theloma l'a parfaitement résumé: les entorses à la crédibilité de Sicario sont nombreuses. Mais cela n'a pas énormément d'importance, dans la mesure où la dernière livraison de Denis Villeneuve...
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