Les réalisateurs arrivent à trouver un équilibre entre drame rural, éveil au fantastique et histoire d’amour poignante. Le film ne cesse de basculer entre le point de vue de Lina et de Giuseppe pour mieux ressentir à la fois la détresse et la beauté de leur relation. L’amour et la mort, des termes parfois liés indubitablement. Cela justifie ainsi le traitement onirique instauré dès le début. Semblant livrés à eux-mêmes, les adolescents se rencontrent dans une forêt sombre, immense et mystérieuse dans laquelle plane la menace d’un chien sauvage. La mise en scène, très contemplative, usant de plans larges et parfois de plans focaux, permet de déployer une mélancolie grandissante. Le monde de l’enfance contre la réalité des adultes, un combat perdu d’avance mais que Luna et Giuseppe vont mener avec grâce.
La narration se transforme avec la disparition de Giuseppe. D’abord classique, posant ses bases comme un conte de fée, elle finit par se casser en deux. Au-delà de maintenir une connexion avec les deux protagonistes, elle développe surtout leur relation. D’abord timide, Luna et Giuseppe n’auront semblé autant se connaître qu’après leur séparation. C’est une vision belle et intuitive de l’amour car leur couple est jeune, presque éphémère mais la puissance de leurs sentiments transcende la distance et le danger. Cela va influencer l’attitude de Luna dans sa manière d’être (sa crise d’adolescence), son éveil artistique (ses dessins magnifiques et pleins de symboles) et son émancipation d’une famille à la fois aimante et étouffante. Elle ouvre les yeux sur l’environnement qui l’entoure.
C’est également un portrait peu flatteur de la Sicile, un pays archaïque coincé entre un conservatisme traditionnel et une mafia qui dicte les lois dans l’ombre. Le film préfère suggérer, montrer à la travers les yeux des adolescents plutôt que d’alourdir dans des scènes d’exposition. Quand le fantastique se manifeste avec subtilité, les réalisateurs ne nous livrent pas des images baroques comme Del Toro. On reste ancré dans le réel pour mieux troubler la frontière entre le rêve et le devenir de l’histoire. Lewis Carroll et sa fameuse Alice trotteront dans la tête du spectateur avec Luna qui cherche la vérité dans un village qui semble avoir perdu son humanité. Cette innocence bafouée trouve une référence directe à mon sens chez Dario Argento (la superbe scène de Luna et Giuseppe sous l’eau me rappelle follement « Inferno »).
Le film semble cependant parfois un peu long, donnant l’impression de tourner en rond. Il n’empêche que le récit refuse la mièvrerie ou le misérabilisme quitte à parfois mettre de côté l’émotion pour des passages assez intenses. Son jusqu’au-boutisme dans sa volonté d’un traitement poétique pourrait déranger, sa dernière partie contient pourtant de fortes idées. Alors que la nature semblait faire partie des évènements, elle finit par être au cœur de la relation entre Luna et Giuseppe. L’issue finale, évidemment choquante, se mue en volonté de vie par delà la mort via les éléments du monde. L’eau, omniprésente, est un passage à l’amour et surtout à l’espoir. Le sordide pourrait l’emporter, c’est finalement l’amour qui triomphe, terrassant même au passage la fatalité. Sur le papier c’est très naïf et bête, au résultat c’est émouvant. Giuseppe et Luna, chacun à leur manière, ont choisi l’évasion. Le beau plan final finit de célébrer le rêve comme remède au quotidien.
Voilà donc une belle histoire d’amour qui, si elle n’évite pas les longueurs, saura vous toucher et vous transporter dans un conte où le petit chaperon rouge choisit d’affronter le grand méchant loup pour sauver son amour. Le travail des plans, la rigueur de l’écriture et le souci de créer un fantastique pur et métaphorique permettent de mieux cerner la détresse d’un monde adulte qui écrase toute vitalité. Luna et Giuseppe ont montré leurs espoirs, leurs doutes et leurs colères. Ils choisissent le pouvoir de l’imaginaire (ou si c’était vrai ?) pour transcender leur existence. Une belle surprise.