Le simple énoncé du pitch pourrait faire fuir les plus aguerris. Le jour de la sortie de Suicide Squad, proposer un film roumain de trois heures se déroulant dans l’espace confiné d’un appartement au sein d’une famille réunie pour la commémoration religieuse de la mort du patriarche relève sinon du défi, au moins de la résistance.


Il ne faut pas se mentir : il faudra une certaine endurance pour gravir cet étrange massif, parfois foutraque, aux cimes exaltantes et aux gouffres amers.


Dix ans après La mort de Dante Lazarescu, Christian Puiu reprend la singularité de ton de ce chef-d’œuvre : plans-séquences interminables, entassés comme des blocs au sein desquels surgissent une vie quotidienne et des échanges qui, progressivement, dressent le portrait de personnages qu’on aura le sentiment de connaitre intimement.


La nouvelle donne réside dans le parti pris spatial de l’unité de lieu. A deux exceptions près, le trajet initial et une descente dans la rue, toute l’intrigue se concentre autour de l’attente d’un repas qui n’arrivera qu’au plan ultime. Sur le modèle d’un Godot, on attend le prêtre pendant plus d’une heure, puis l’on gère les différentes incursions (un mari jaloux, une amie croate alcoolisée…) qui diffèrent en permanence le seul aspect réjouissant de cette réunion : manger, et, surtout, se taire.


Puiu choisit Lary, médecin quadra, pour être témoin de la plupart des échanges. La caméra devient son double, voire celle du père défunt dont la commémoration vise à le faire quitter définitivement les lieux, notamment par la passation d’un costume à un représentant de la nouvelle génération. Souvent placée dans un lieu de convergence, comme un corridor, les panoramiques suffisent à passer d’une porte à l’autre, et donner à voir, dans les embrasures, les micro récits de toute cette petite troupe. Des théories du complot aux conflits générationnels, de la nostalgie communiste de l’ancienne aux élans pieux de la mère, tout s’entremêle non sans quelques longueurs et langueurs censées rendre palpable l’attente un peu désœuvrée du repas. Mais la chorégraphie des portes, le ballet incessant des répliques et de l’enchevêtrement des fils narratifs, associé au jeu impeccable des comédiens atteste d’une virtuosité toujours aussi vivace du cinéaste.


Comme pour La mort de Dante Lazarescu, Puiu ne cherche pas le film à thèse : il y a clairement autant de personnes qu’il y a d’opinions, et leur réunion occasionne des frictions qui prêtent le plus souvent à sourire. C’est d’ailleurs la posture de Lary, qui souvent se retient d’exploser de rire devant le ridicule de toute cette comédie humaine, permettant de désactiver, sans pour autant la mépriser, ce qui pourrait dévier vers la tragédie poussive. Nul Festen ici, mais un concentré latin et gueulard d’une famille comme tant d’autres.


Focalisé sur le thème du mensonge, qui irrigue toutes les générations (des frasques de feu le père à celle de l’oncle, voire, en creux et de façon un peu forcée, à celles de Lary lui-même), Sieranevada propose en contrepoint la vérité fragile des êtres : condamnés au langage, à des rites, à contraindre leur liberté pour cohabiter avec ceux dont ils savent, au fond, ne pas pouvoir se passer, comme en témoigne ce plan final sur des sourires riches d’une sincérité rare.


(7.5/10)

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le 5 août 2016

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