Histoire des fondements de la folie de Stroszek, soldat allemand blessé, que l'on retranche dans un petit village grec au bord de la mer, Lebenszeichen donne à voir tout d'abord un paysage, aride, pierreux, dans lequel les 4 personnages ont à combattre, non pas l'ennemi, inexistant en ces terres, mais le désœuvrement. Privés de front et de bataille, logeant dans une petite bâtisse abandonnée dans l'urgence par leurs anciens occupants, où sont encore accrochés des portraits de famille, les trois soldats ont à réinventer une vie sur des ruines multiples, comme autant de couches de sédiments vivotant à la surface d'une étendue pourtant déserte : l'enfant, que la jeune femme voudrait attendre, ne vient pas ; l'ennemi, qui justifie les tours de garde, ne se pointe pas. Il ne reste que les ruines, non pas de la guerre, mais bien celles de l'antiquité dont Becker tente de traduire l'écriture serrée qui creuse la surface des pierres.
Des linges blancs, suspendus, volètent contre les façades des habitations désertées, le tout en caméra portée, rapportant les micro secousses d'un sol, que l'on sent déjà caillouteux, autant que le pas pressé d'une course tragique. Au même titre qu'une déambulation citadine qui s'apprécie pendant le générique d'entrée de nombreux films, la scène porte en elle tous les éléments de tension qui fondent la folie que va développer Stroszek, celle qui débuterait en attendant quelque chose trop longtemps mais qui ne viendrait jamais. Les linges, tâches blanches aveuglantes, sont le mirage ondulant d'une présence ennemie désespérément attendue et prédisent le tournoiement des moulins aux ailes blanches lors de la crise de Stroszek. Des soldats, à terre, gisent, plus accablés de chaleur que véritablement morts, une main de l'un d'entre eux se soulève, imperceptiblement, comme un tissu mu par le vent. Et même, de tout ce qui jonche la terre, il est toujours une partie qui s'extrait de la masse caillouteuse et attire le regard. Un pied sculpté, des visages et des masques, des morceaux de colonnes, un coq enfoui dans le sable, sont autant de vestiges qui échappent à toute destruction et font signes de vie malgré tout. C'est contre tout cela que se monte la folie de Stroszek, qui, même parvenu au point culminant de sa bataille, ne parviendra à tuer qu'un âne, dont le corps inerte et rongé par le soleil, finira par être débarrassé par les villageois.
Comment agir face à cette atmosphère où le combat est impossible ? Meinhard, seul personnage qui semble perpétuer une vie de soldat malgré la situation, s'adonne à la fabrication d'un piège à blattes, insectes pour lesquels sa répugnance assure l'existence d'un ennemi à combattre. Le piège qu'il construit, comme une longue ligne menant tout droit dans un piège, est cette même ligne blanche tracée à la craie pour hypnotiser une poule. L'hypnose, à l'oeuvre dans tout le film, s'entend comme l'emprise exercée sur l'esprit de l'autre. Stratégie à plus ou moins grande échelle, on la retrouve lorsque Stroszek, devenu fou, menaçant de tout faire sauter, disparaît du film, pour laisser la place aux réunions entre le capitaine, un psychiatre et les membres du village, qui réfléchissent ensemble aux différentes conduites à tenir autant qu'au comportement supposé de Stroszek. Nous ne verrons donc pas la folie de Stroszek à l'oeuvre, et c'est sans doute le plus grand mérite du film, que de redonner au lieu toute sa prégnance et tout son poids. Nous n'apercevrons plus que des feux d'artifices au loin, comme seule attaque proférée en direction d'un soleil dont Stroszek réfute la présence. Stroszek ne rayonnera pas et donnera raison, en quelque sorte, au tzigane venu rendre visite aux soldats un peu plus tôt, prétendant être le roi d'un peuple inconnu qu'il semble trouver dans son nomadisme, et qui a pour seule stratégie celle de la magie et du spectacle.
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