Alors que la plupart des réalisateurs du nouvel Hollywood sont cramés depuis longtemps, Martin Scorsese, 74 ans au compteur, est encore capable de proposer un film ambitieux et pour ma part parfaitement maîtrisé et convaincant de bout en bout. Je ne suis pas de ceux qui affirment que "le vrai martyr du film, c'est le spectateur", propos tenus par des critiques fainéants qui préféreront toujours le bon mot à la rigueur de l'analyse. Scorsese revient à l'adaptation historique. Il s'est entouré pour cela des meilleurs spécialistes du Japon du XVIIe siècle pour faire le récit de deux jésuites confrontés à la répression menée par les autorités japonaises contre le catholicisme. La première partie, lente et exigeante, construit le suspense : les jésuites recherchent leur professeur dont la rumeur prétend qu'il s'est converti au bouddhisme. La deuxième partie propose une confrontation théologique qui multiplie les joutes verbales entre les jésuites et l'inquisiteur. On entre alors dans une réflexion de haute tenue, mise en scène dans un affrontement composé de champs contre champs d'une grande inventivité formelle et jamais ennuyeux. Chacun défend son point de vue. Les évangélistes sont victimes de la répression tandis que l'inquisiteur leur oppose la résistance à la colonisation occidentale, quitte à supprimer ses propres sujets. Plus tard, dans un des sommets du film, un personnage jettera aussi le doute sur la profondeur de la conversion des paysans au catholicisme, suggérée dans la première partie. Certes, on peut juger la description des tortures qui font des victimes des martyrs très complaisante. Mais si le film s'inscrit aussi dans son époque, Scorsese reste pourtant en deçà des images d'actualité bien plus éprouvantes (une scène de décapitation faisant référence aux mises en scènes des djihadistes).
Tourné à Taiwan dans des décors magnifiques de Dante Ferretti et photographié par l'immense chef opérateur Rodrigo Prieto, le film de Scorsese est finalement l'un des sommets de sa carrière de ses 15 dernières années. Le thème d'un impossible dialogue avec dieu résonne alors avec toute son oeuvre.