Faites donc vôtre le titre de ce film afin de me lire, puis de le contempler.

Il déchira la chronique et le petit monde de François (le Souverain Pontife, pas le président). Il suscita l’admiration et l’indignation sans prendre en compte des clivages quelconques : des bouffeurs de curés et des grenouilles de bénitier se retrouvèrent dans les mêmes camps, pour le défendre ou pour le conspuer. Les cris de rages et les exclamations enthousiastes éclatèrent aussi bien chez les disciples du Nazaréen que chez ceux de Robespierre. Alors au milieu de tout ce bruit, tentons de raisonner calmement, posément, cool, mondains, posés et en… Silence (Quelle transition géniale!).


Les faits ? Au XVIIè siècle, deux jésuites portugais sont envoyés au Japon afin de retrouver un des leurs, Cristóvão Ferreira (sj) qui aurait abjuré sa foi. Ce qui est loin d’être simple, car le Japon de l’époque, en réaction à l’arrivée des missionnaires étrangers, a entamé une politique de persécution des « kiristian » (chrétiens japonais) et des prêtres. Les deux jésuites vont donc entamer un voyage au cœur de l’Empire du Soleil levant, qui les changera à jamais...


Alors autant être prévenus tout de suite : si vous n’aimez pas la violence, n’allez pas voir ce film (et si vous l’aimez, je peux vous conseiller d’excellents psychologues).
Non pas que il soit signé Tarantino (quoique ce serait marrant de voir un prêtre en soutane découper des bras à grands coups de katana, façon Kill Bill… je digresse), mais enfin entre les décapitations, crucifixions (dans tous les sens) et autres douceurs du même genre, il vaut mieux s’abstenir d’y aller si on ne peut pas supporter (et a fortiori n’y pas amener des enfants, comme votre serviteur l’a vu quand il est allé voir ce film…).


Le pire étant la torture psychologique, les prêtres se voyant constamment répliquer que tout ceci est de leur faute et que s’ils n’avaient pas eu l’idée saugrenue de venir annoncer aux japonais la parole d’un charpentier juif mort il y a mille ans et des poussières, il n’y aurait pas de persécution et tout le monde serait content…


Ce qui nous amène à l’une des questions que le film se permet de poser d’autant mieux qu’il est adapté d’un roman écrit par Shūsaku Endō, écrivain japonais et catholique : la foi chrétienne, née en Occident (c’est-à-dire en Palestine, pour un japonais c’est la même chose) peut-elle s’enraciner au Japon ? Devant les persécutions et le fait que les chrétiens japonais semblent avoir accepté la foi pour des raisons bien moins orthodoxes qu’on le croirait, on peut en douter ; ainsi, on voit une jeune chrétienne se réjouissant de ce qu’au paradis, il n’y a pas d’impôts (ce qui est exact jusqu’à preuve du contraire, mais ce n’est pas une raison pour tenter une évasion fiscale).


Et surtout : peut-on apostasier par charité ? Le génie de Martin Scorsese réside dans la manière dont il pose le problème sans y répondre (c’est à vous d’y répondre) : d’un côté, il y a la foi, l’impératif catégorique du « tu n’abjurera pas » et le devoir d’évangéliser ; de l’autre, la persécution, la culpabilité et l’insupportable silence de Dieu devant la souffrance. Du coup, l’attitude d’un saint Laurent devient un peu moins évidente… d’autant que par l’apostasie, on peut espérer sauver sa vie et celle de ses semblables.


Poser ce problème n’est pas facile ; y répondre l’est encore moins. Sur ce point précis cependant, l’attitude de Shūsaku Endō (l’écrivain) et celle de Scorsese (le réalisateur) diffère, ce qui est une parfaite illustration des libertés que l’on peut prendre en adaptant une oeuvre préexistante. Alors que le roman semble plaider pour une « apostasie charitable », le film se fait bien plus ambigu ; la voix qu’entend un des personnages, le poussant à apostasier, est très clairement la voix du Christ chez Endō; dans le film, rien n’est moins certain. La fin prend également quelques libertés appréciables, ajoutant un surcroît d’ambiguïté à un film qui déjà n’en manquait pas…


Ajoutons que la photographie est splendide, (nominée à l’oscar), les acteurs parfaits et la réalisation belle et sobre, et voilà des raisons suffisantes pour aller cogiter pendant près de trois heures dans une salle obscure comme le chemin de nos protagonistes.

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le 21 mars 2017

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