Depuis la sortie du Loup de wall-street j'attendais ce fameux Silence. Car oui je suis un fan, voir même une groupie comme disent certains de mes amis, du grand réalisateur qu'est Martin Scorsese. J'ai toujours l'impression, peut-être et certainement fausse, d'être un des rares qui disent que Scorsese est leur cinéaste favori, au-dessus de tous les autres. En soi ce n'est pas bien grave, mais j'ai toujours l'impression de ne pas être très original dans mes goûts. Comme si finalement aimer Scorsese c'était un peu comme aimer Micheal Jordan. Et comme si dire que j'ai adoré Silence était d'un coup un cliché de moi-même, une auto-caricature. Et pourtant je suis obligé de le dire mais je hisse Silence dans les 5 ou 6 meilleurs films de Marty. Sans être étonné, j'ai constaté que le film a recueilli des avis plutôt mitigés.
Trop long, raciste, pro chrétien, pas assez scorsesien et j'en passe. Bon les arguments qui consistent à dire que le film est pro chrétien (avec une volonté d'évangélisation selon certains) et raciste envers les japonais, n'ont aucun sens. Mais une critique du livre que j'avais rédigée en parle et comme le film dans ses intentions et son discours est le même, je ne reviendrai pas sur ces arguments. Un film trop long ? Et bien pour moi il ne l'était pas assez. Mais il a été amputé par Scorsese d'environ 30 minutes. Et il a certainement éliminé toute la partie voyage de Macao jusqu'au Japon qui est bien plus riche en événements que ce que le film nous montre. Mais c'est vrai que le film est long, lent et austère. (une austérité extrêmement rare chez Scorsese).Et c'est quelque chose qui, si on ne rentre pas dans le film et ses enjeux, peut être fatale. Bref il me reste cet argument du film pas Scorsesien. Et il est très intéressant à étudier. Car il est vrai qu'en surface le film n'a rien d'un Scorsese. Pas de grands mouvements de caméra, un montage très lent, pas de musique, pas de New York, aucun mafieux etc ... Mais qu'est ce qu'il fait que ce film dirigé par mon cinéaste préféré m'ait autant plu ?. Le scénario est une réponse certaine. En effet, comme je l'ai écrit plus tôt, j'ai lu le livre avant de voir le film. L'histoire m'ayant beaucoup touchée, je savais que cette partie du film me satisferait. Les acteurs sont excellents mais pas au point de me faire dire que ce film est un des meilleurs de Scorsese. Qui fera mieux que Joe Pesci dans les Affranchis ou De Niro dans Taxi Driver et Raging Bull ? Alors je me suis dit que c'était la mise en scène et le style de Scorsese qui avait une fois de plus eu raison de moi. Alors qu'il n'a rien du Marty de Casino. Où sont passés les mouvements de caméras incroyables qui traduisent la frénésie dans laquelle ses personnages sont emportés? Où est passé le rythme très soutenu du montage de Thelma Schoonmaker ? Et la musique ? Et soudain, cela a fait sens dans ma tête. Peut-être que l'on est tout proche du style de Scorsese, mais d'une manière bien différente.
Je sens que je vais sur un terrain glissant et pourtant je vais essayer d'être un minimum pertinent. Si j'aime définir le style de Scorsese comme le cinéaste de la vitesse, du rythme et du mouvement, on a la sensation que Silence n'est rien de tout ça. Cependant il est totalement dans le style Scorsese. C'est simplement que le réalisateur utilise des moyens différents, plus en adéquation avec son sujet. Le mouvement, qui je le rappelle pour moi signifie dans ses films la folie et la frénésie de ses personnages, n'est ici pas transcrit par une caméra virevoltante exécutant travellings, panoramiques, saltos, métaphores, et bien d'autres... Mais il est retranscrit dans les décors et la nature. Le mouvement vient du vent, de la mer, de la pluie, des animaux, du feu, et des cigales. Il y a énormément de Kurosawa dans cette méthode. Utiliser de simples éléments de la nature pour nous montrer où en sont les personnages. Une sorte de présence qui entoure les protagonistes, les avertissant du danger. Mais aussi la présence de Dieu, avec ces cigales qui semblent ne jamais s'arrêter. Scorsese les utilisent ici comme les bruits ambiants de New-york dans Taxi driver ou les bruits de rings et de combats lorsque Jake la Motta est chez lui avec sa famille. Il les utilise à la fois pour leur rôle immersif mais aussi, selon moi, pour symboliser Dieu qui s'adresse à Rodrigues. Seulement Rodrigues ne l'entend pas. Le rythme du film est délibérément lent. Servant son propos. Mais c'est fou comme le rythme est soutenu dans cette lenteur. Les dialogues qui, certes sont en champ contre-champ, sont aussi souvent filmés avec 4 ou 5 cadrages différent nous montrant qui pense quoi, qui est avec qui. Il vient créer un rythme dans la lenteur. Cette façon d'opérer atteint son paroxysme dans la scène ou le père Rodrigues apostasie. On retrouve le montage très rythmé de Martin Scorsese. Des plans de plus en plus serrés sur la gravure de Jésus, puis le pied de Rodrigues vient se poser sur cette dernière et cut très rapide sur un portrait de Jésus qui disparaît dans l'obscurité pour laisser place à une série de ralentis. Encore une fois du rythme dans la lenteur. Le son va travailler le rythme et le suspens. Les cris, les cigales, les voix, tout est calculé pour obtenir la tension souhaitée.
Le plus marquant et le plus déroutant pour moi, était de constater l'absence quasi totale de musique. Un Scorsese sans musique n'est pas un Scorsese. Mais si on regarde de plus près le silence a toujours été important dans le cinéma du réalisateur. Pour ce film, le silence permet au spectateur non seulement de ressentir ce que le personnage d'Andrew Garfield ressent, mais aussi et surtout de nous mettre dans un état bien particulier. J'étais tombé dans un état semi méditatif. Un état où chaque bruit de la salle, même infime, vient perturber l'expérience du film. Ce silence pesant nous amène à un autre degré du cinéma de Scorsese. Le cinéma comme religion. Pour le réalisateur le cinéma est sa religion. Il compare l'acte d'aller voir un film au fait de se rendre à l'église. Un film lui amène autant de questions qu'un sermon. Avec Silence, il nous donne une expérience du cinéma. Un film dont on ne sort pas indemne. L'expérience n'est pas forcément positive, mais le film a un effet. Un effet qui peut être intellectuel, physique ou psychique. Pour moi ça a été l'expérience méditative et intellectuelle. Cette absence de musique, ce silence qui pèse, les bruits de la nature ont été d'une puissance immersive incroyable pour moi. J'étais totalement dans le film, les yeux rivés sur l'écran, le cerveau disponible pour toutes ces réflexions que le film amène.
Avec Silence, Martin Scorsese dit beaucoup sur le cinéma et la foi. Au sortir de ce film, j'ai la sensation que le cinéaste tout comme l'auteur du livre nous dit que la foi est une chose à garder pour soi et en soi (le dernier plan du film exprime assez bien cette idée selon moi). C'est peut-être ça la foi véritable. Bien qu'agnostique, ce film m'a beaucoup touché et parlé. Scorsese exprime ce qui a été au cœur de tous ses films de la façon la plus brutale et austère posible. La foi, la trahison, les communautés, la déchéance et la rédemption sont les thèmes qui ont fait sa carrière et qui font Silence. Le réalisateur New-yorkais retrouve les sommets avec Silence et peut-être accouchera-t-il d'un nouveau chef d'oeuvre avec son prochain film : The irishman. En attendant, en bonne groupie je vais patienter en silence, devant chacun de ses films et cultiver ma foi envers mon guide, le grand Martin SCORSESE.