Terry Gilliam fait parti de mes réalisateurs préférés. Pourtant l'annonce de la sortie de L'homme qui tua Don Quichotte m'a fait peur. Bien sûr j'ai eu peur mais ça m'a fait très plaisir de voir ce projet enfin se concrétiser. On connait tous les déboires qu'a du traverser le cinéaste pour arriver à enfin sortir l'oeuvre qui résume la carrière de Terry Gilliam. Car oui, le voir "adapter" ou remanier l'histoire de Don Quichotte ce n'est pas anodin. On est face à l'homme qui a réalisé Fisher king et Les aventures du baron de Munchausen. Un homme pour qui la folie, le rêve et la fiction ont une place prépondérante dans ses films. Et surtout un homme qui a une imagination et une créativité incroyables. Les qualités parfaites pour s'attaquer à ce monument, à cette montagne qu'est Don Quichotte. Mais après toutes ces années, Gilliam devait-il vraiment réaliser ce projet ? Est-ce qu'on est pas déçu par tant d'expectations ?
Ma réponse, totalement personnelle, est non. Terry devait le faire et Terry a réussi. Alors attention le film a des défauts. Mais des défauts qui ne m'ont pas vraiment gêné. Mais je reviendrai dessus plus tard. Faisons d'abord un rapide tour de l'histoire, désolé d'avance mais le film est assez dur à raconter comme tous ceux de notre cher Terry. Nous suivons Toby (Adam Driver) qui est un réalisateur de publicités et qui en tourne une en Espagne avec la thématique de Don Quichotte. "Par hasard", un homme mystérieux (qui ressemble un peu à Johnny Depp comprenne qui voudra) donne un dvd à Toby. Ce dvd contient le film de fin d'études du réalisateur, une adaptation de Don Quichotte. C'est lors de ce tournage qu'il rencontrera un vieux cordonnier (Jonathan Pryce) à qui il va faire interpréter Don Quichotte. Se remémorant tout ça il tente de retrouver ses acteurs et savoir ce qu'ils sont devenus. Il va très vite se rendre compte que le cordonnier est devenu fou, se prenant pour Don Quichotte.
Une intrigue très difficile à résumer car il y a beaucoup de personnages, beaucoup de saut dans le temps, une histoire pas toujours linéaire et des moments de rêves, d'hallucinations, de surréalisme ... Bref du Gilliam. Mais l'histoire est pourtant bonne. Même si parfois on a du mal à saisir où le réalisateur veut en venir, on comprend tout de même le gros de ses préoccupations. Un scénario qui a été modifié au cours de la vingtaine d'années qui ont précédées la production du long métrage. On sent que certaines scènes ont un ton très autobiographique. On voit clairement que la succession d'échec a marqué le pauvre Terry et le film semble avoir une vertu cathartique pour le cinéaste. Mais tout cela ne l'empêche pas de se centrer sur ce qui l'intéresse : Don Quichotte. Le réalisateur reprend la trame globale du livre de Miguel De Cervantes en la modernisant. Comme dans le livre on suit le personnage qui nous entraîne dans sa belle et incroyable folie. Et c'est un pur plaisir. Avec ce film on est à l'extrême opposé d'hollywood. On ne justifie pas tout, on ne s'attend pas à tout et le scénario se permet de bonnes digressions et de bons moments de pause dans la folie pour aborder un ton un peu plus poétique. L'humour est très présent aussi mais j'ai l'impression qu'il y a quelques private jokes qui ne passent pas sur certaines personnes. Il y a même quelques blagues sur le cinéma que beaucoup n'ont pas l'air d'avoir capté. Ou alors ils n'ont tout simplement pas trouvé ça drôle et je commence à me poser des questions sur mon humour. Mais on doit bien l'avouer le scénario est aussi le problème du film mais encore une fois je reviendrai dessus plus tard. (et je sais vous vous dîtes : il commence à nous faire chier celui là avec ses reports)
Bon le scénar c'est une chose. Mais est-ce que le terry est rouillé ? Au début du film oui. J'ai eu très peur car on ne retrouvait rien du cinéma de Gilliam. Pas de plans débullés, pas de courte focale, aucune folie. Juste un peu d'humour et de l'exposition. Mais après cette exposition légèrement longue, on arrive à une scène qui se déroule dans une roulotte. Et ce moment est la bascule du film. Cette scène très poétique, émouvante et aussi entraînante déclenche la folie qui va driver tout le film. A partir de ce moment, tous les gimmicks de Terry ressortent, les acteurs se mettent aussi en route et la créativité du cinéaste surgit sans crier gare. Ainsi on tombe dans la spéciale du réalisateur : ce que nous voyons, est ce réel ? Imaginé ? Rêvé ? Fictif ? Je dois dire que j'adore ça. On a plus qu'a se laisser emporter et juste savourer les délires de Terry Gilliam. Bien que le manque de budget se fait sentir sur les décors qui font un peu cheap, le film est bourré de visuels très intéressants. Des visuels attachés au côté aventure et chevaleresque du film. Par ailleurs Terry n'a pas perdu la main pour diriger ses acteurs. C'était sans doute l'élément qui me faisait le plus peur. Le casting a changé tellement de fois qu'il serait long de résumer ces changements mais celui qu'on voulait tous voir c'est le duo Depp/Rochefort. Gilliam dédie le film à Jean Rochefort d'ailleurs. Le nouveau duo se compose donc d'Adam Bus Driver (calembour de niveau 3 mêlant deux références) et de Jonathan Pryce qui avait déjà joué pour Gilliam dans Brazil où il tient le rôle principal et dans le Baron de munchausen. Et ce duo fonctionne très bien. je pense que c'est le seul point où la plupart des personnes sont d'accord. Jonathan Pryce incarne parfaitement ce mélange de folie, de malice et de bravoure qui définit le personnage de Don Quichotte. Et l'étoile montante Adam Driver prouve que quand on ne lui donne pas un rôle merdique avec un look qui lui enlève tout charisme et qu'on le dirige bien (coucou Star wars), il se révèle être un très bon acteur. Je ne sais pas s'il y a corrélation avec son talent mais Adam Driver a déja travaillé avec Martin Scorsese (Silence), Steven Sorderbergh (Logan lucky), Jim Jarmusch (Paterson), Jeff Nichols (Midnight special), Noah Baumbach (The meyerowitz stories et While we're young) et on va le découvrir aussi dans le prochain Leos Carax et le prochain Spike lee. Je vous conseille Hungry hearts si vous voulez voir jusqu'où pour l'instant les talents d'acteurs d'Adam Driver sont allés. Et on sent qu'il peut être encore meilleur. Dans son rôle de Toby/Sancho Panza, il arrive à jouer le réalisateur désabusé et raté mais il développe aussi cette tendresse envers Don Quichotte. Sans livrer sa meilleure prestation Adam Driver reste bon et montre qu'il peut assumer le rôle principal dans de gros projets.
Mais sous ces qualités se cachent quelques défauts. Des défauts qui ne m'ont pas dérangés car je pense qu'ils sont inhérents à l'Oeuvre de Terry Gilliam. Mais ces défauts vont en gêner plus d'un car ils sont poussés un peu à l'extrême dans ce dernier film du réalisateur. Déjà il y a le problème global du film qu'est le scénario. Flashbacks, rêves, récit non linéaire, ellipses, hallucinations, folie, multitudes de personnages, mélange de l'oeuvre originale à la nouvelle histoire etc etc. Tout ceci rend le film, comme certains le disent, bordélique. Un joyeux bordel toujours volontaire chez Terry. Un bordel qu'il pousse à son extrême à mesure que son film avance. J'ai adoré d'autant plus que c'est parfaitement justifié dans le film. Ce bordel chez Terry ne m'a jamais dérangé. Car c'est la matrice de son style et de ses films. Mais si vous n'êtes pas fan de son style, et bien passez votre chemin pour Don Quichotte. C'est rare que je déconseille un film lorsque je l'ai adoré mais Terry Gilliam fait parti de ces cinéastes où leur style est aussi leur pire ennemi. On peut aussi noter les décors un peu cheap et kistch. Encore une fois ça fait parti du style Gilliam. c'est à la fois son choix et aussi celui des producteurs. On sent dans chacun de ses films le manque de budget. Enfin du budget il en a, mais pas suffisamment pour son univers aussi créatif. Alors on a quelques effets spéciaux pas hyper beaux et des décors parfois qui sentent le carton pâte. Cependant, on a aussi l'impression que le budget est passé dans la dernière séquence assez longue qui est très réussie. Et je n'ai pas dit longue séquence pour rien. Il est vrai que le film est un peu long pour cette histoire. Le film met surtout du temps à vraiment se mettre en route et c'est bien dommage car une fois lancé il arrive à nous maintenir focus.
Terry Gilliam semble vouloir nous transmettre quelque chose mais c'est un peu compliqué d'identifier quoi. Je pense qu'avec la fin du film, Terry veut nous montrer que Don Quichotte c'est avant tout un état d'esprit. Comme si sa folie nous contamine au fur et à mesure, comme si ses histoires nous inspirent toujours plus. C'est un état d'esprit à avoir, c'est une façon d'être. Mais c'est aussi une histoire sur la puissance de la fiction qu'elle soit littéraire ou cinématographique. Une puissance qui s'impose au créateur et au spectateur. Une puissance d'une grande beauté.
Avec L'homme qui tua Don Quichotte, Terry Gilliam exorcise enfin des années d'enfer de production. Il signe une œuvre sans concession qui ne trouvera peut-être pas son public en dehors des habitués et des curieux. La radicalité formelle et narrative du cinéaste sert parfaitement son histoire et ses personnages. Il délivre une oeuvre qui est remplie de créativité, d'humour mais aussi de moments glauques et sombres qui déstabilisent dans ce qui semble être au début une sorte de film d'aventures mais qui se révèle par certains aspect être aussi une petite charge contre le milieu du cinéma et de la publicité. Des acteurs qui assurent dans leurs rôles, avec un Adam Driver qui réussit à rendre attachant ce réalisateur qui n'est pas un saint, mais aussi Jonathan Pryce qui prouve une fois de plus qu'il est un des meilleurs acteurs anglais de sa génération. Terry Gilliam disait il y a quelques jours qu'il était Sancho Panza et que le film était son Don Quichotte (se défendant "d'être" Don Quichotte). Cela ne fonctionne que pour sa personne. Car je crois que le film nous confirme que Terry Gilliam est bel et bien notre Don Quichotte. Nous sommes Sancho Panza. Don Quichotte a promis à Sancho de lui offrir un château et de le faire roi. Terry Gilliam nous a offert L'homme qui tua Don Quichotte.