Venez à Mujin, la ville du brouillard.
Le cinéma coréen ça n’est pas que du thriller, mais c’est aussi du drame, et Silenced en est l’exemple le plus flagrant, véritable porte-parole d’une innocence blessée.
En 2005 Kang In-ho arrive dans une école où les enfants sont malentendants, mais se rend très vite compte que quelque chose cloche, ceux-ci s’étaient cloitrés dans une sorte d’autisme. La raison est simple, ils sont les souffres-douleurs des jumeaux proviseurs et autres enseignants. Kang In-ho, d’abord aveugle face à des actes trop abominables pour être réels se réveille néanmoins très vite et met sa vie au second plan pour se consacrer entièrement à ces enfants dans la détresse la plus profonde.
Ecrit et réalisé par le cinéaste Dong-hyuk Hwang, qui dirige sa seconde bobine après My Father qui datait de 2007, vient reprendre le flambeau de Kang In-ho, déjà repris par Jee-young Cong qui a couché l’histoire sur le papier. Roman dans une main et caméra dans l’autre, Dong-hyuk Hwang nous emmène dans un enfer où la cruauté est maître mot. Des hommes qui abusent d’enfants c’est déjà une infamie, mais lorsqu’ils profitent d’un handicap qui les empêchent de s’exprimer nous dépassons alors ce stade pour ne plus parler que d’être démoniaques. D’ailleurs l’oeuvre est, en plus de la mise à mort de ces salauds, l’exposition d’un Corée où les échelons de la justice sont pourris au point que malgré des témoignages accablants, tout le monde s’en sort innocenté, ou au pire avec une légère tape sur la main. Une telle injustice méritait de faire parler d’elle, et si la littérature ne permet pas toujours de s’exprimer à grande échelle, le cinéma le peut plus facilement, et en 2011 le métrage a fait l’effet d’une bombe, poussant le gouvernement à fermer l’établissement scolaire et à démarrer un nouveau procès.
Cette descente aux enfers d’un professeur altruiste nous est servie de main de maître par Dong-hyuk Hwang qui dirige son casting avec fermeté et puissance. On sent les acteurs impliqués, tout le monde est à sa place et personne n’en fait jamais trop, en particulier les enfants, criant de vérité, malgré leur mutisme, mais dont le regard en dit long sur le travail de direction qui a été fait. Pas de mélodramatique, pas de pathos, uniquement de la justesse renforcée par une narration fluide et passionnante, découpée à parts égales entre le face à face avec l’horreur puis le déroulement du procès, ou plutôt la parodie de procès. Le réalisateur a d’ailleurs un talent assez déstabilisant à filmer les scènes d’attouchements, travaillant l’image au point de lui donner une ambiance d’une poésie morbide retournant l’estomac (bien que presque tout soit occulté), à l’inverse des scènes de brimades qui quant à elles vont dans la bestialité la plus basse.
Silenced est une oeuvre qui vous prend aux tripes, mais surtout un chef d’oeuvre à tous les niveaux, triste, très triste, car au moment du tournage (comme à l’écriture du livre) le désespoir était très certainement dans l’esprit de tous, personne ne s’attendant à ce que le métrage puisse venir ébranler des fondations juridiques pourries à ce point jusqu’à la moelle. L’arrivée de ce film est la bienvenue, mais il reste paradoxalement affreux qu’une oeuvre cinématographique se doive de jouer un rôle social, viols, tortures, décès et témoignages d’enfants n’ayant eu jusqu’ici que très peu d’impact. On pense à Dong-hyuk Hwang qui a fait un travail considérable, mais l’on pense aussi à ces enfants dont l’enfance, voire la vie, ont été volés. Une seule occasion de le voir sur grand écran, et ce sera lors de l’édition 2012 du Festival du Film Coréen à Paris.
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