(j'avais oublié de la poster ici)
Il est difficile de trouver l’angle par lequel aborder une critique, et Clouds of Sils Maria ne déroge pas à la règle. Certes, le portrait élogieux de l’actrice et de son travail est mis en avant. Bien sûr la double relation qu’entretiennent Valentine (assistante/Sigrid-dans-les-répétitions) et Maria (actrice/ joue-Helena-après-avoir-interprétée-Sigrid) est un enjeu majeur ; pour autant, le film dépasse ces évidences. Ce très beau film s’apprécie dans l’instant, mais appelle aussi à du recul pour en saisir toute sa finesse. A force de vouloir trouver la porte d’entrée du film, nait une certaine fascination, sentiment souvent réservé soit à des chefs d’œuvre, soit surtout à des films pour lesquels existe un lien affectif fort. Ici, aucun des deux, mais une impression d’évanescence qui étonne autant qu’il intrigue. Voilà donc toute trouvée cette porte d’entrée : la fascination. Si celle d’Olivier Assayas pour ses actrices est évidente, il faut souligner qu’elles le lui rendent bien, puisque Juliette Binoche, Kristen Stewart et Chloë Moretz sont impeccables de bout en bout, livrant des prestations aussi intenses que subtiles. Mais il y a de multiples fascinations, passant toutes par le prisme du personnage de Maria Juliette Binoche Enders. Fascination pour la jeunesse (passée comme du présent), pour le désir, pour le temps qui passe.
La jeunesse aussi est multiple. Qu’elle soit interprétée par l’assistante ou la it girl Jo-Ann, qu’elle soit interprétée par Sigrid-Maria, Sigrid-Valentine ou Sigrid-Jo-Ann, cette jeunesse anime le film. En effet, si la question de la lecture du scénario et de sa compréhension tient une grande place (au moins par sa durée) dans le long-métrage, c’est parce que Maria Enders est tourmentée par le fait de quitter l’enveloppe de Sigrid pour tenir le rôle – qu’elle méprise – d’Helena. Pourtant, cela fait longtemps qu’elle n’est plus cette jeune actrice montante destructrice (la première actrice d’Helena s’est tuée en voiture peu après le film, Henryk Wald est rancunier parce qu’Enders s’est refusée à lui), mais une actrice confirmée, mature, proie pour une nouvelle jeunesse vampirisante. Toutefois, la maturité également est objet de fascination ; Wilhelm Melchior et Henryk Wald pour Maria Enders puis cette-dernière pour son assistante et Jo-Ann : voici que revient encore et encore la relation Sigrid/Helena, dont le comble réside dans la forme d’auto-fascination (nostalgique ou narcissique ?) de Maria Enders pour sa propre jeunesse.
Le désir ensuite, se place aussi au coeur de Clouds of Sils Maria. Son fonctionnement est à rapprocher de celui du phénomène nuageux de Maloja Snake (titre éponyme de la pièce de Melchior dont la double adaptation au cinéma est le fil rouge) : une longue attente – enrichie par souvenirs (de Rosa, la veuve de Wilhelm) et images (un film d’archive par exemple) – qui aboutit à une déception (du spectateur ?) ou à un moment de solitude. Maria l’actrice se retrouve face au véritable Maloja Snake seule, abandonnée par Valentine ; Maria-Helena se retrouve dans son décor du film seule, abandonnée par Jo-Ann. Il en va de même pour la tension érotique entre Valentine et Maria, esquissée par des gestes ou des paroles, mais qui n’aboutit que sur une séparation des personnages dans les scènes.
Enfin, la fascination pour le passage du temps. L’évolution du regard de Maria sur la pièce et ses personnages, l’évolution de son corps, l’évolution du métier d’actrice. Cet axe est bien sûr nourri des deux précédents, mais il permet d’aborder la forme, et notamment l’ellipse. Au-delà du découpage pour former la structure en deux parties plus un épilogue, les scènes – surtout au début – sont orchestrées par de petites ellipses (et des fondus). Cela contribue à l’impression d’évanescence du film. Concernant le dispositif, il incarne l’idée du double, notamment par la narration où les informations sont dédoublées, racontées, répétées ; de même que les personnages possèdent une double image (publique/privée par exemple, illustrée par Jo-Ann). Les dialogues autour d’internet et de l’image numérique font partie intégrante des processus de fascination. De plus, chaque fonction principale est doublée : l’idole (Melchior et Wald), le metteur en scène, l’assistante, Helena, Sigrid (plus que double). On peut même ajouter que Maria Enders est double, puisqu’on voit un contraste entre l’actrice mondaine et médiatique, et l’actrice au travail (contraste passant aussi par le physique), de même que Valentine à la fois assistante, muse, et personne indépendante de Maria (cf son amant photographe, ou ses opinions sur l’interprétation de l’oeuvre, etc). A travers cette-dernière on voit dans le film une relation de domination et de dépendance au sein même de la sphère de travail (les répétitions dans le chalet des Melchior), qui fait bien entendu écho au récit de Maloja Snake. Le personnage de Juliette Binoche est véritablement le coeur du film, tout passe à travers elle, y compris les sentiments du spectateur. Ainsi, l’excipit révèle une Maria Enders nouvelle ; à la tourmentée vient se juxtaposer une autre nature qu’épouse conjointement le spectateur, une Maria apaisée.