L’actrice, cette créature fascinante. Les plus grands s’en sont approchés, l’ont scruté, érotisé, voué aux nues. Aldrich, Wilder, Lynch, Cassavetes, Bergman, Mankiewicz… L’actrice maboule, passionnée, sensible ou meurtrière… Olivier Assayas s’était déjà mesuré à elle dans Irma Vep, hommage au vieux cinéma et vénération à son ancienne compagne (Maggie Cheung) qu’il s’était plu à habiller d’une combinaison en latex noir, et Sils Maria parle aussi d’une femme-artiste face aux éclats changeants de sa profession, et aux sentiments plus changeants encore, formant un creux, un royaume autour d’elle où les hommes sont quasi absents et/ou des figures rejetées (mentor qui vient de mourir, metteur en scène discret, acteur qu’elle méprise, ex emmerdant). Sils Maria parle d’une amazone.
Elle s’appelle Maria Anders. Comédienne confirmée, respectée et adulée, traversant la quarantaine avec une sorte d’assurance qui cache pourtant mal les inquiétudes d’un avenir qui paraît lui échapper, qu’elle maîtrise à peine. Révélée pour son rôle de Sigrid qu’elle incarna à dix-huit ans dans la pièce de théâtre Maloja snake (une jeune femme séduit une femme plus mûre, Helena, qui finit par se suicider quand elle l’abandonne), on lui propose aujourd’hui de rejouer la pièce dans le rôle d’Helena dont elle exècre l’apparente vulnérabilité, dénigre le conformisme et sa lâcheté à se donner la mort. Construit en trois parties inégales (un premier acte brillant, un deuxième moins accompli et un épilogue en demi-teinte), Sils Maria entrelace intervention du jeu et vérités de la scène aux variations de l’existence.
La relation Sigrid / Helena trouve un écho plus diffus, plus sourd, dans la relation entre Maria et Valentine, son assistante. Au-delà de chaque exégèse de la pièce que chacun tend à donner (passion, destruction, possession, manipulation ?), c’est cette dernière qui devient l’enjeu des commutations du désir. Un prolongement de la leur, professionnelle, amicale et complice, intime éventuellement, non-dite jusqu’à quel point, à quelle attirance, de quelle façon, dans quel sens ? Le film se regarde comme un thriller psychologique et amoureux multipliant, trop facilement parfois, les mises en abîmes et les raccords entre interprétation (les scènes à répéter) et réalité immédiate (les liens inexprimables entre Maria et Valentine).
Il offre aussi une réflexion sur le temps qui passe et ce besoin de plaire, d’exister dans les yeux de l’autre, de tous les autres, et ce spectre de la vieillesse qui s’avance, ce refus de ce monde qui bouge, qui va trop vite, qui dit tout et révèle tout en quelques glissements de doigts sur les écrans. Juliette Binoche et Kristen Stewart s’illuminent chacune, différemment, surprennent, séduisent, bouleversent. Binoche dans la plénitude de son art, évidente, magnétique, et Stewart dans la redécouverte de son talent et de sa beauté que Twilight avait corrompu. Assayas les filme telles des idoles, des déesses pourquoi pas, mais vulnérables. Sa mise en scène et son montage sont vifs, attrayants, à l’affût et à leur disposition jusqu’à la fin quand il saisit Maria seule dans un carré de verre, en belle irrésolue.
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