Adapter le livre "Simetierre" de King, c'est pas un exercice facile : pas que sa narration ou son déroulé soient très complexes à restituer à l'écran, non, mais ses thématiques et la manière râpeuse dont l'histoire se les approprie demande un équilibre délicat. Et une compréhension assez fine.

Vous voyez ces deux mots ? Délicat, fine ? Vous pouvez sortir la pelle et la pioche, le film les enterrant très rapidement. Et ce ne seront pas les seuls victimes.

Je vais être colère dans cette critique, je vais donc spoiler à tout va. De toute manière, le film s'en fout encore plus que moi, sa bande annonce dévoilait tout. C'est parti.

Écrire, c'est difficile

Louis Creed et sa petite famille emménagent dans une toute nouvelle maison, où le bonheur est de courte durée. En effet, leur propriété est construite en bordure d'une route dangereuse qui endeuille régulièrement les enfants de la région, en remplissant le cimetière d'animaux à proximité. On raconte même que certains animaux n'y demeurent pas tout à fait morts...

Le film est jalonné de gros problèmes d'écriture - notamment en voulant épurer la structure du roman : le souci, ici, est que le film suit grosso modo la première partie de façon linéaire dans ses résolutions mais oublie les multiples implants, comme par exemple Rachel qui est traumatisée par la mort de sa sœur mais a pu, quelques minutes auparavant en discuter presque tranquillement avec sa fille, comme si le film avait oublié que ces deux éléments étaient corrélées (dans le livre, elle devenait hystérique à l'évocation de la mort). Ces oublis, ces simplifications à outrance donnent un résultat brouillon et incohérent, aggravés par un manque de transition fluides. On a l'impression de voir accolés des morceaux d'histoires où les réactions des personnages paraissent inexplicables, faute d'avoir posé les jalons en amont. Alors même qu'il ne s'est encore rien passé d'autre que le chat qui se met à griffer, les persos sont écrits comme s'ils avaient déjà traversé des dizaines d'épreuves difficiles les laissant abîmés. Le film ne maîtrise clairement pas le "show, don't tell" de base et bouche ses trous béants à coup de dialogues - souvent très mal écrits et pas franchement très bien doublés en français, en prime. C'est quand même un comble de n'être absolument pas foutu de simplement SUIVRE la trame du roman, quitte à même le faire bêtement. Résultat, toute la première partie échoue à bien poser les bases pour mieux installer l'horreur. Et ça, on le doit encore plus aux personnages vidés de leur substance.

Figurines

Le film n'a tout simplement pas compris les personnages, en les privant de toutes leurs caractéristiques, voire en leur ajoutant involontairement des traits qui ne servent franchement pas le récit. Un des exemple les plus frappant est Jude, celui par lequel le malheur arrive. Normalement sympathique et avenant, fondant une relation de confiance avec les héros - ce qui explique donc qu'ils ne voient pas venir le mal qu'il déclenchera involontairement - il est ici inquiétant, méprisant et même carrément malsain avec la fillette du couple. Difficile à dire si c'est la mise en scène cliché, l'écriture plate ou la performance de John Lithgow qui donne cet effet mais on a peine à croire que quelqu'un puisse faire confiance à ce type, qui est moins le voisin chaleureux qui aime la vie que le vieillard bizarre propre à tout film d'horreur feignant.

Et tout est à l'avenant : la relation de couple entre Rachel et Louis est inexistante, aucune alchimie, le jeu des acteurs est catastrophique, mention spéciale à Ellie, la fille du couple, élément central du récit qui... ne joue pas. Parce qu'à ce stade, on appelle pas ça mal jouer. La gamine est atone durant toute la première partie, ce qui rend sa mort et sa résurrection absolument inefficaces sur le récit puisqu'on voit franchement pas de différence. Une petite pensée aussi pour Louis Creed ( Jason Clarke, resté apparemment coincé dans son rôle de terminator) qui approche le lieu de l'accident de sa fille comme un type qui vérifie sa carrosserie après un accrochage sur un parking.

Au moins, le jeu d'acteur est à la hauteur de l'écriture des personnages: lisses, sans caractéristiques au point d'en devenir même antipathiques, formant de simples personnages fonctions pour dérouler l'histoire. Une histoire qui en prime n'a pas grand chose à raconter vu que sa thématique principale a été elle aussi essorée.

La mort mais pas trop parce quand même...

Réaliser un film quand tu n'as rien à raconter, on sait que ça n'arrête pas un producteur. Réaliser un film basé sur un livre qui en racontait beaucoup et qui parvient à absolument vider TOUT son sujet, par contre, c'est une belle performance.

La mort et le deuil sont ici presque totalement absents, ou plus exactement traités de façon basique, sans aucune épaisseur psychologique. Le trauma de rachel et son rapport très conflictuel à la mort disparaissent pour un pragmatisme total et des discours pontifiants sur l'âme qui va au ciel, la dimension maléfique du simetierre et sa capacité à influer sur les vivants disparaît totalement, via une simple recherche internet de 30 secondes sur le passé de la ville et les morts paraissent ici franchement très frais, au lieu de distiller le malaise voulu. Ellie ressuscitée porte un simple maquillage qui aurait sans doute pu être réalisé pour la fête d'Halloween de sa classe de CE2 et sachez que se faire ressusciter donne un effet "paupière tombante" (le but était sans doute de donner un effet d’œil mort, mais ça devait être un peu compliqué pour un film à 21 millions...).

Ressuscitée, Ellie se comporte également exactement comme de son vivant, ni possédée, ni glaçante, ni rien. Mise en scène, écriture, jeu d'acteur, tout échoue à faire avaler un seul instant que cette petite fille a subi une mort extrêmement violente (il faut dire que sa scène de mort est ridiculement excessive MAIS sans une goutte de sang, là où l'accident aurait dû l'éparpiller sur la route...) et a été ressuscitée par des méthodes maléfiques. Son basculement dans la violence paraît du coup complètement inexpliqué et vire même au ridicule, là où juste conserver l'idée d'une possession par le démon wendigo aurait rendu cette transformation cohérente. Même les choses simples, ce film n'est pas capable de le faire : il ne fait que mentionner les éléments du livre, y compris les plus signifiants sans comprendre en quoi ils peuvent influencer l'histoire. Un tel degré d'incompétence, comme dirait un certain paysan breton, c'est rare...

Alors oui, le film s'orientait apparemment sur l'idée - pas si con - que les morts ressuscités en veulent aux vivants de les avoir ramenés dans une existence de cadavre traumatisés par leur décès. Vraiment, ça aurait pu être une direction intéressante. Si la première partie y avait préparé au lieu de suivre en survol celle du livre, si le film était mieux écrit, mieux joué avec des personnages au service de cette idée. Autant dire que bonne ou pas, celle ci tombe donc bien à plat. Il faudra peut-être expliquer aux réals et au scénariste que quand on veut changer l'idée majeure d'une fiction, c'est bien de le faire à tous les niveaux de l'histoire. Avant de leur confier tant de pognon et un livre de King à adapter, ça aurait été mieux.

Mais rassurez-vous, ils ont trouvé la parade : en faire plus. Puisque plus c'est mieux, c'est connu.

Better, faster, chianter...

L'inquiétante étrangeté c'est un peu la base du fantastique et ça existe depuis... une bonne centaine d'années ? Vous savez le principe de partir d'une situation banale pour y insinuer progressivement des éléments étranges et angoissants, jusqu'à totalement disloquer la normalité autour des personnages. N'importe quel auteur de fanfic connaît ça.

Hé bien sachez que le film se torche avec ce concept : là où il n'y avait qu'un cimetière pour animaux, on te colle des processions d'enfants masqués flippants dès les trois premières minutes de film, là où la révélation concernant la sœur de Rachel - la source de son trauma et de sa peur panique de la mort - était efficace en une scène grâce à une construction intelligente, on nous tartine x fois des hallucinations, sans jamais trop montrer ladite sœur, faudrait pas qu'on augmente l'âge légal pour voir ce film non plus.

Ce qui est le plus insultant, c'est que le film se permet de jouer sur les attentes d'un spectateur qui a vu son prédécesseur, de lui teaser une scène clé... puis de la "modifier" (en fait non, il ne fait que changer le timing ou effectuer un changement mineur qui revient strictement au même). Et il se croit visiblement très malin, étant donné la façon particulièrement lourde qu'il a de singer le film de 89 dans ces passages. Mais bon, quand on est à ce degré de nullité abyssale, tout ce qui reste c'est bien d'essayer de se moquer de ceux qui font bien mieux. Avec infiniment moins de moyens.

Des bonnes idées... aussitôt étouffées

Simetierre est donc une mauvaise adaptation, on l'aura compris. Et ça aurait pu être pardonnable s'il avait été un film d'horreur correct, pas obligatoirement un chef d’œuvre mais quelque chose de regardable lors d'une soirée halloween, vite oublié mais sympathique.

Même pas : le film use des clichetons les plus miteux de mise en scène (les éclairs, l'ampoule qui clignote, les semi jumpscares, les visions de maison hantée alors que la maison n'est pas supposée l'être, les zombies qui se téléportent...). On passe du petit - tout petit - film fantastique au drame en carton pour finir sur du slasher marque repère. Autant dire également que même s'il s'agit de quelque chose de personnel, ce truc ne fait pas peur. Sauf éventuellement si vous n'avez jamais regardé un film d'horreur. Et je pense qu'en la matière "Chair de poule" est plus effrayant.

Il ne met bien évidemment pas plus mal à l'aise, malgré quelques bonnes idées (et entièrement originales puisque pas dans le livre, quand même) qu'il liquide à la hâte au lieu de les exploiter, un gâchis (la scène du bain, qui aurait pu être efficace si le film n'était pas si pressé de vite la foutre sous le tapis, s'agirait pas de choquer...). Certaines utilisations de personnage à peine évoqués laissent d'ailleurs un peu penser que le film ou son script ont été charcutés mais cela reste de la pure spéculation. Le résultat reste de toute façon navrant, même avec cette poignée d'idées. Il en aurait fallu beaucoup plus pour donner du goût à ce navet.

Conclusion

C'est faire beaucoup d'horreur... pardon d'honneur à "Simetierre" que d'avoir écrit une critique aussi longue. Mais s'il y a une chose que je reconnais à ce... truc (je suis désolé mais pour faire un film il faut des réalisateurs qui ont du talent, un scénariste qui sache lire et des acteurs qui sachent jouer...) c'est de mettre en lumière tous les rouages de l’œuvre d'origine, vu qu'il n'est foutu d'en utiliser aucun. Le film entend gérer une thématique délicate en la bardant de tropes de film d'horreur basiques et de personnages qui le sont tout autant. Comment peut-on aborder quelque chose d'aussi personnel que le deuil avec un travail aussi impersonnel ? On ne peut pas. Résultat, le film est incapable de même effleurer le drame viscéral du livre ou sa dimension horrifique, incapable de simplement délivrer une histoire de zombie classique.

Relisez le livre.

Et rematez le film de 89. Il a beaucoup vieilli, souffre de nombre de défauts mais a ce parfum de terre acide qui hante les cauchemars de ceux qui restent...

SubaruKondo
2
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Créée

le 19 août 2024

Modifiée

le 19 août 2024

Critique lue 13 fois

SubaruKondo

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