L’appréciation d’un film ne tient pas seulement à sa qualité intrinsèque : elle est aussi conditionnée par les attentes du spectateur, et l’état d’esprit qu’il construit consciemment en lui accordant son attention. Les critères d’appréciations ne seront pas les mêmes selon qu’on visionne un blockbuster, un film social, une expérimentation auteuriste ou une comédie.


Il en sera de même pour le nouveau film d’Olivier Dahan, qui s’était déjà piètrement illustré avec La Môme ou Grâce de Monaco dans le biopic de femmes d’exception. Les attentes qu’on projettera sur lui détermineront s’il s’agit d’une œuvre nécessaire ou d’un ratage cinématographique.


Soyons pragmatiques : *Simone *est un film destiné à l’Education Nationale. Les élèves de 3ème dont le programme d’histoire colle au sujet, y seront probablement emmenés en masse, et nul doute qu’un certain nombre d’entre eux y apprendront bien des choses sur la vie de cette femme incroyable, ajoutant à la sécheresse de leur manuel les émotions et l’immersion propre au cinéma. L’évocation du combat pour l’avortement, des malades du SIDA, des tortures lors de la guerre d’Algérie ou de la simple lutte d’une femme pour pouvoir travailler trouveront bien des échos dans les discussions qui suivront la projection, d’autant qu’elles pourront sans peine entrer en résonnance avec bien des thématiques d’actualité. Quant au sujet de la Shoah, le film sait aussi introduire son sujet, le reléguant dans un premier temps à un souvenir tu, en adéquation avec la volonté de refoulement de la société, avant de libérer les souvenirs pour en faire un récit majeur et documenté.


La leçon d’histoire aura donc bien du mérite, même si son morcellement non linéaire pourra en déstabiliser certains : c’est sans doute là la seule volonté moderne d’un film qui, pour le reste, s’avère pétrifié dans la naphtaline. Dahan ne s’adresse effectivement pas aux cinéphiles qui pourraient accompagner les bus d’élèves. La musique est pompière, les dialogues d’une lourdeur rare, la narration en voix off de mémoires rédigés devant la mer d’un académisme pénible. Partant sans doute du principe que ses spectateurs n’ont pas vu beaucoup de films, Dahan ne va donc rien nous épargner en termes de clichés et de grosses ficelles : flash-backs en surimpression et voix en écho, tirades didactiques au possible, exposé lourdingue des enjeux… Simone n’est pas un film, c’est un cours d’Histoire, où chaque séquence se présente comme un tableau avec légende surdéveloppée, à l’image de cette traversée d’un marché qui va permettre à chaque passante d’arrêter Simone Veil pour lui témoigner son admiration et ses encouragements dans ses différents combats. On aurait même préféré que Dahan se limite au pur didactisme, car lorsqu’il s’essaie au style (caméra portée dans l’hémicycle, gros plans sur les bouches haineuses de l’oppositions, plans-séquences en circonlocutions parfaitement stériles…), c’est bien pire.


Mais voilà : si la jeunesse d’aujourd’hui, qui ne lira probablement jamais ses mémoires, apprend face à ce film un peu de l’histoire de cette femme et de celle du XXème siècle, et comprend par elle les risques pour son avenir, l’œuvre aura rempli son rôle.

Sergent_Pepper
5
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Poussif, Vu en 2022, Vu en salle 2022 et Flop 2022

Créée

le 13 oct. 2022

Critique lue 4.4K fois

85 j'aime

12 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 4.4K fois

85
12

D'autres avis sur Simone - Le voyage du siècle

Simone - Le voyage du siècle
Trilaw
9

« Bientôt s’éteindra cette génération qui ne devait pas survivre »

Le film est farouchement et profondément féministe mais quoi de plus normal pour un métrage dédié à une femme extraordinaire qui a permis que l’un des droits les plus élémentaires pour elles, même si...

le 24 nov. 2022

35 j'aime

4

Simone - Le voyage du siècle
Redcifer
2

Fausse couche

un biopic affligeant de lourdeur sur tous les plans, filmique, narratif, et politique. Plutôt que de s’intéresser tant à la diction de Simone Veil - qui, paraît-il, a passionné Elsa Zylberstein - le...

le 9 oct. 2022

28 j'aime

1

Simone - Le voyage du siècle
Cinephile-doux
5

Icône sans retouches

Simone Veil est une icône du siècle dernier, un symbole infrangible de l'humanisme par ses combats pour la dignité, elle qui a connu l'inhumanité la plus monstrueuse avec le camp d'Auschwitz et les...

le 28 août 2022

20 j'aime

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

774 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

715 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

617 j'aime

53