Ce que j'aime, avec Yoshiura, c'est que j'ai toujours un peu peur en amont, je reporte, j'hésite, je me dis "ouais, non, c'est pas pour moi, j'ai passé l'âge", mais que je ne suis jamais déçu.
Là où Shinkai ne cesse de radoter sans jamais parvenir à se renouveler, ni jamais retrouver non plus l'état de grâce de son Voices of a Distant Star ou de sa Tour au-delà des nuages (mais avec un succès populaire inversement proportionnel à la qualité auditive de ses radwimps), l'autre grand prodige du début des années 2000 (rappelons qu'ils ont tous deux commencé leur carrière par des moyens-métrages entièrement réalisés en solitaire sur leurs fonds propre) poursuit sa carrière à la marge, dans une indifférence polie, mais sans jamais démériter.
Privilégiant l'intime au grand spectacle, l'humain au grand guignol, il s'avance à pas feutrés, à la marge, déroulant pierre à pierre une filmo perso impeccable et exempte de fausse note, sans jamais faire le buzz ni bénéficier de projos à grande échelle (ou allez, quoi, deux jours de programmation et puis s'en va, circulez y'a plus rien à voir), là où tant d'autres "nouveaux Miyazaki" ont chaque année l'honneur de nos salles obscures, pour des productions pourtant rarement à moitié aussi bonnes.
Il y a un style Yoshiura, il y a un ton, et pourtant jamais deux fois le même métrage, au point qu'avec un peu plus d'ambition, peut-être, ou plus de productivité (plus de battage médiatique, simplement), il pourrait devenir l'égal d'un Mamoru Hosoda, dont il partage la capacité à surprendre et à s'écarter des sentiers battus, là où trop de leurs homologues ronronnent platement dans les traces des grands qui sont venus avant eux.
Difficile, d'ailleurs, de ne pas voir dans Sing a Bit of Harmony le jumeau synchronique de Belle, sorti deux mois plus tard sur des bases étonnamment similaires. Et c'est un compliment.
Tout entier rayonnant d'un optimisme science-fictionnel, le film établit un joli trait d'union entre le climax de Pale Cocoon, première oeuvre crépusculaire de l'auteur, et son lumineux Time of Eve (inédit chez nous, on se demande pourquoi), dont il transpose le propos dans un cadre adolescent qu'on s'étonnera de trouver si peu agaçant. Miracle.
Et en même temps, ça n'a rien d'un hasard, l'écriture des personnages y est pour beaucoup, en cela qu'elle s'empare d'archétypes indissociables de cette période charnière pour en faire quelque chose de moins cliché, de moins stéréotypé, de moins déjà vu et revu (ouf !), nous épargnant par chance tous les poncifs inhérents à ce contexte narratif, que ce soit dans les mots comme les comportements. Même si le film traite d'isolement, de doute, de solitude, de harcèlement aussi, il ne cède jamais à la facilité du pathos dramatique, préférant émouvoir par ses bonnes intentions plutôt que par les mauvaises. N'hésitant pas, même, à se vouloir Disnéen sans aucun complexe, et beaucoup d'élégance - pour ne pas dire : d'intelligence.
Ajoutons à cela un très joli chara design, une animation fluide, un rythme dynamique, des couleurs d'été à la plage, quelques idées géniales (l'entrainement de judo, notamment) et un travail de story boarding remarquable (au risque de me répéter, ils sont rares aujourd'hui ceux qui savent encore faire, en la matière, et plus encore à ce point-là), pour mettre en valeur les atouts d'une fable sociale convenue, mais divertissante, dans le meilleur sens des deux termes, où les personnages priment sur un récit qui n'est pour eux qu'une scène dont ils seront le centre de bout en bout. Pour peu qu'on ait déjà vu E.T. et consorts, on devinera sans peine les principaux rebondissements du film, mais son intérêt est ailleurs. Moins dans ce qu'il raconte que dans ce qu'il développe, et le discours positiviste qui le sous-tend, à contre-courant de l'époque.
Car il faut un sacré courage artistique pour envoyer balader le cynisme débilitant dont se gargarisent les « esthètes véritables » et autres « on n'est pas de moutons » ; et embrasser en plein une candeur idéelle sans desserrer l'étreinte. L'image n'est pas gratuite : Sing a Bit of Harmony est au cinéma ce que le free hug est aux conventions d'otakus. Et alors que la japanim' n'a jamais été si violente (ok boomer, on dit ça à chaque décennie, mais la surenchère complaisante des mangas "survival", ou l'Attaque des Titans érigé en chef d'oeuvre philosophique majeur, on ne les a pas inventés non plus), passées certaines réticences instinctives, la fierté, la froideur, tout ça, il faut bien admettre, ça fait un bien fou.
Aussi immature qu'il paraisse en surface, enfin, un film mature pour de vrai, à l'image de son héroïne.
En toute simplicité, et avec le sourire.
On inspire, et on chante, et tant pis si c'est faux, allez. Trois, quatre...