Entre les mûrs
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Bon ou mauvais, peu importe. Il faut un jour pouvoir guérir et libérer les parties de l'existence qui en ont besoin.
John Divine G (Colman Domingo) vit dans une cage où plus rien ne chante, prisonnier d'un mensonge que seule la vérité refuse d'entendre.
À Sing Sing, quelques détenus ont choisi de participer à un programme artistique, non pas pour fuir, mais pour survivre. Non pas pour oublier, mais pour ressentir, ne serait-ce qu'un instant, cette transformation qui les rend plus humains.
Même incertains ou comiques, parfaits ou brisés, ces hommes tentent de défier la réalité, créant des fenêtres pour rêver du ciel au-delà des murs, laissant s'envoler leur imagination, libre et sans limites.
Le film de Greg Kwedar se concentre sur ce projet de réhabilitation par l'art, révélant le poids invisible de la culpabilité et des regrets qui pèsent en chacun d'entre eux. Coupables ou innocents, ils ont tous peur. C'est pourquoi ils ferment les yeux, pour voyager loin, très loin, comme un remède aux dysfonctionnements des institutions. Une façon de s'interroger sur la structure sociale qui les enferme entre quatre murs.
C'est une bouffée d'oxygène. Ils sont heureux lorsqu'ils se retrouvent pour rire, débattre, passer des auditions. Ils se réinventent, se reconstruisent, trouvent, dans cette réhabilitation par la création, une liberté nouvelle. Celle de se redéfinir avec l'aide de Brent (Paul Raci), leur professeur d'art dramatique, mais aussi de Divine G, remarquable d’interprétation et d’émotion sous les traits de Colman Domingo. Figure essentielle de cet atelier, un homme brillant et intelligent, plutôt doué avec les mots. Talentueux dans la composition de textes et de poèmes pour le théâtre. Un prisonnier qui aime aider et conseiller ses camarades, notamment Divine Eye (Clarence Maclin), ce nouveau venu qui les ramène à leur réalité : la prison.
Son corps parle avant ses mots, un incendie surgit d'un simple regard. Une harmonie qu’il est venu briser par sa violence. Divine Eye est la pauvre victime d’un système qui se concentre uniquement sur sa détention, oubliant toute réinsertion.
Mais il y a Shakespeare et le rôle d'Hamlet, prince du Danemark que Divine Eye veut endosser, contre toute attente. Une mission suffisamment puissante pour le pousser à dissiper une colère qui inquiète l’ensemble de ce collectif, et surtout Divine G, troublé aussi par une forme de jalousie. Lui qui semblait, pourtant, parfois ne pas faire partie de cet endroit.
Ce drame carcéral met en lumière l’aspect rituel de la préparation d’une future représentation. Un réalisme frappant du huis clos, où chaque scène semble authentique, portée par un casting globalement crédible.
Et puis, ce face-à-face tendu, entre deux forces qui s’opposent, qui s'observent. D'un côté, une paix intérieure, un désir profond de création, une volonté de s’en sortir et d’aider les autres, chez Divine G. De l'autre, cette énergie chaotique, au bord de l’abandon, prête à exploser, chez Divine Eye, qui reste constamment sur ses gardes, laissant malgré tout échapper une lueur d’espoir.
Des joies, des cris, des larmes. Et puis des silences, quand rien ne change.
Non, l’art ne peut pas tout soigner. Ni soi-même, ni les autres.
Il ne panse pas le réel, ni le manque de liberté. Des visages qui s’effacent, d’autres qui s’éloignent, que le temps n’attend pas. Lui qui, pourtant, avait appris à s’évader par la beauté.
Cependant, Sing Sing montre que rien n'est perdu, que tout est encore possible. L'art ne peut être enfermé , il échappe aux barreaux. Ces détenus cherchent à donner un sens aux heures qui passent, à retrouver une dignité perdue.
Symboliquement, ils se perçoivent autrement, sans changer leur passé, mais en rendant l'avenir possible par le texte, le geste du peintre qui dialogue avec sa toile, le danseur et ses mouvements dans l'espace, qui n'est plus vraiment seul. Le sculpteur et sa main qui communique avec la matière pour offrir une autre vision du monde.
Un refuge, quand tout est violent et condamné. Qui apaise, pour une traversée vers des palettes de couleurs qu’ils explorent, qu’ils croyaient impossibles. Et y voir soudain un homme tomber, que les autres retiennent.
L’aube après une nuit trop longue. Et cet ailleurs que chacun d’eux espère. Une liberté trouvée dans le partage de l’art.
Créée
le 29 janv. 2025
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