Sky Crawlers est une oeuvre magnifique et à la portée incroyable. Brillamment portée à l'écran par Mamoru Oshii d'après une série de livres de Hiroshi Mori, on ne peut qu'admirer le résultat.
Je ne suis plus surpris aujourd'hui lorsque je vois les notes des films de ce réalisateur que j'affectionne tout particulièrement. Et Sky Crawlers ne fait pas exception à la règle. Un film de Mamoru Oshii, c'est d'abord une attention presque poétique portée à l'ambiance, au visuel, avant tout dialogue. Chaque plan est donc étudié dans le moindre détail, avec une minutie qui confine à l'obsession. Les plans larges ou les très gros plans, caractéristiques, avec les chiens comme muses délurées sont légions et souvent rigolos. Le rythme est souvent lent, mêlé à de rares mais intenses séquences d'action. Enfin la grande majorité des scènes invitent à la contemplation, et surtout à prendre le temps de s'interroger sur ce que l'on voit, ce que l'on entend. Les dialogues sont épurés dans ce sens, faisant ressortir la fragilité et le complexité des personnages. Mais L'extrême finesse des décors et des personnages posent souvent des paradoxes intéressants, autant qu'une large incompréhension du public d'ailleurs, trop habitué à se faire dicter une morale ou une histoire sans se poser de question. Tout comme un David Lynch ou un Zack Snyder, le style est à part, décalé mais superbe pour qui veut y consacrer une oreille attentive. Et c'est le propre de ce génie de l'image et de l'ambiance. Prenez le temps, laissez vous gagner par cette histoire si étrange et envoûtante, en voici les principaux traits :
Le design immédiatement reconnaissable est une caractéristique abordable. Elle montre souvent la froideur et la fragilité d'un corps humain, noyé dans la masse de ses semblables, mais pourtant si beau. Depuis Ghost in The Shell, on admire ces yeux immenses en amande, magnifiques, intenses et peu mobiles, presque hypnotiques, des personnages principaux.
Cette beauté froide et presque désincarnée vient immédiatement en contraste avec l'esprit brillant et torturé de ses personnages. Si Yûichi est presque apathique et peu émotif, ses congénères Kildren finissent tous en proie a de terribles doutes et invariablement par devenir agressifs ou déviants. Yûichi n'y coupera pas non plus.
Le film permet également un contraste poignant entre deux sociétés rivales, qui luttent pour une domination pécuniaire et idéologique d'un cynisme sans nom. Le développement des Kildren, des clônes humains voués à ne jamais vieillir, bloqué définitivement dans un corps d'enfant et dont la mémoire est lacunaire, sont utilisés comme chair à canon dans une société où cette violence est banalisée, acceptée. Chaque disparition de clone voit son remplacement quelque temps plus tard par un autre, aux mêmes tics et habitudes, possédant une “empreinte" presque génétique des lieux et des personnes connues par son double décédé. D'où l'apparition progressive d'un malaise, car dès le départ, avec l'apparition de Yûichi, on sent que certains personnages retiennent des informations, ignorent une vérité trop dure pour eux. Ce malaise deviendra de plus en plus fort et ne vous lâchera plus jusqu'à la fin. Restez surtout après le générique !
J'ai été très touché par la confrontation entre les survivants et les nouveaux arrivants. On navigue toujours entre malaise et perte de mémoire post traumatique. C'est impressionnant de maîtrise.
On se retrouve donc rapidement confronté à une violence morale qui n'est pas sans rappeler Haldous Huxley, Philipp K. Dick et George Orwell. Dans une société ultra libérale, peut-on accepter qu'une partie de la population soit marginalisée, dissociée sciemment pour des besoins aussi futiles ?
On assiste par ce biais à l'éternel renouvellement de ces clones, prisonniers de leur condition, qui essaient de se frayer une voie vers la connaissance et une guérison de leur état de Kildren, vu de leur niveau comme une maladie, que l'on sait vaine dès le départ. Le seul personnage humain dans cette marée de clones est le Professeur, une entité passée à l'ennemi, dégoûtée par un état de fait qu'il a lui même créé. Il devient le cauchemar de ces jeunes pilotes, qu'il dézingue avec frénésie et sans aucune pitié.
Car on est dans un film portant sur l'aviation, on l'oublierai presque. Et encore une fois, le côté ultra-réaliste des décors en 3D, proche de la photographie, met en contraste les dessins des personnages, volontairement dépouillés et simplifiés. On y voit donc des machines au design très réussi, aussi bien dans l'animation des véhicules que dans le les dessins. La fragilité des personnages y apparaît donc d'autant plus facilement qu'elle vous scotche au siège par leur justesse. Et elle permet d'aborder de nombreux thèmes avec brio et en laissant planer un malaise constant. La fin du film mettra d'ailleurs la cerise sur le malaise, sans tambours ni trompettes. Elle calme dans tous les sens du terme.
Bien que les séquences de combats aériens soient époustouflantes, il n'y pas d'autre mot, ont appréciera surtout une interrogation lente et subtile du réalisateur sur des sujets aussi contemporains que délicats : l'eugénisme, le clonage humain, l'ultra libéralisme, la banalisation de la violence et l'extrême docilité de la société Japonaise. Que l'on peut d'ailleurs appliquer à toutes les sauces de nos sociétés modernes. Serait-ce un énième clin d'oeil à 1984 ?
Pour résumer, je dirais donc que l'on est ni plus ni moins dans le film le plus abouti de Mamoru Oshii. La diversité des thèmes traités, l'excellence de l'ambiance et du scénario, transcendés par des contrastes violents et par un style épuré et très artistique, donne le tourni. Un film qui vous marque comme rarement.
LE chef d'oeuvre du réalisateur.