Amazon s'est lancé sur le tard dans le streaming. Entre temps, d'autres leur ont chipé les plus gros morceaux: Disney pour les grosses franchises populaires, Netflix pour les pointures… Leur reste un atout: la quantité, qui confine à la gabegie. Ainsi, Amazon Prime se gargarise d'être un des plus gros catalogues de films en ligne. Le hic, c'est que cette quantité se fait au prix d'accepter n'importe quoi sur leur catalogue, mais alors vraiment n'importe quoi.
Or, le cinéma déviant, la série Z, le nanar craspec indéfendable, pour ne pas dire le plaisir coupable comme disent les bobos, c'est un peu comme ces respectables notables de province qui paient une fortune pour passer 1h en compagnie d'une dominatrice en combi cuir qui les traîne en laisse en leur fouettant les fesses. On ne peut pas tout accepter, on ne peut pas tout cautionner. Il y a des safe words, il y a des limites. On peut aimer se faire fouetter le cul, mais pas manger du caca pour autant.
Sérieusement, ceux qui n'ont jamais mis les pieds sur Prime, vous n'imaginez pas le nombre de bousasses atteignant à peine les 3/10 de moyenne IMDb. Des trucs d'une nullité indicible, des films comme on n'imagine plus en voir à l'ère d'internet et des agrégateurs de critiques, des horreurs dignes des heures les plus sombres du vidéo-club et des cinémas de quartier, où l'on pouvait si facilement tromper le gogo avec une simple jaquette mensongère et une catchphrase racoleuse. Des films de requins en plastique à n'en plus finir, des trucs de zombie rincés du cul, des sous-sous-Steven Seagal à se donner des envies de seppuku, des téléfilms de SF d'une nullité à en faire pleurer un milliardaire.
Je me penche ainsi sur ce truc wtf qui a l'air tout aussi con mais pas pire que les autres. Je vois dans ce titre, cette affiche, ces premières images, une volonté louable quoique cynique de faire le film d'exploitation ultime: des requins, des nazis, des zombies, ou plus précisément des zombies nazis chevauchant des requins volants armés de missiles en forme de svastika... et aussi des nichons (l'effet spécial le moins cher, disait Russ Meyer).
Le hic c'est que faire dans un tel bortsch de too-much ne peut fonctionner qu'à condition d'aller sans concession au bout de son délire (école Matthew Vaughn quand il lance Kinsgman par exemple, le Braindead de Peter Jackson, la débilité psychotronique des Hyper Tension avec Jason Statham, ou encore le culte Commando de Mark Lester), et/ou d'être une boule de talent qui transcende le concept finalement vite limité de l'hommage jouissif au cinoche d'exploitation crasseux (école Tarantino, Verhoeven, etc). Sans quoi l'on est condamné à s'entasser au cimetière des éléphants de nanars naveteux qui s'essoufflent passé la surprise de leur concept fun de base. Ceux qui comme moi s'étaient marrés avec la bande-annonce de Machete pour être ensuite atterrés devant l'inanité du film de Rodriguez voient de quoi je parle. Notez au passage que Rob Zombie, lui, avait eu l'intelligence de ne pas tirer un vrai long-métrage de sa fausse bande-annonce top délire pour un film de loups-garous de la SS.
Dès le début du film c'est la stupéfaction, on est dans la série Z la plus misérable qui soit. Dans Ben-Hur on voit le budget étalé à l'écran, ici c'est pareil mais dans l'autre sens. Les effets spéciaux auraient fait tâche dans une vidéo du JDG d'il y a 10 ans, si ce n'est dans un film de Ray Harryhausen d' y a 60 ans, si ce n'est à l'époque de Méliès. La lumière, hideuse, ne peut être l'œuvre que d'un directeur photo dément, dyssentrique et/ou aveugle. Même Hitman & Bodyguard n'allait pas aussi loin dans l'aberration visuelle, en plus d'être bien plus fendard. Ce film c'est la laideur originelle, le jardin d'Eden de la mocheté, la Genèse de l'abjection. La bande-son est d'un mauvais goût pur et absolu -imaginez des scènes gore avec en fond sonore le genre d'electro synthwave qu'on se met pour phaser sur un jeu de bagnoles. Et puis cette impression générale que tout le film a été tourné dans d'affreux fonds verts aux effets numériques poisseux de 25 ans d'âge.
Les 15 premières minutes remplissent pourtant honorablement le quota de wtf de série Z, et me laissent par moment avec un sourire hydrocéphale devant mon écran: un zombie humant avec délice les giclasses de sang s'échappant du cou d'un type tout juste décapité pendant qu'il baisait, un prêtre aux tatouages de gangster mexicain s'exprimant comme un chartier, une bimbo terrorisée dévorée à poil par un requin, quelques gags abyssaux impliquant des nibards, au hasard. On se dit que si c'est tout le long comme ça, ça va au moins être drôle à défaut de faire de nous un citoyen éclairé. Las, passé la première apparition fracassante des requins-zombie-nazis, on s'enlise aussitôt dans d'interminables, cheapissimes et jamais drôles scènes de dialogues de remplissage -incluant la sempiternelle scène d'animation avec explication en voix-off, aka la pire idée de scénar ever, arretez avec ça svp) dont le but est d'expliquer (really?) comment et pourquoi les nazis ont mis au point une unité de zombies pilotant des requins volants. Comme si on en avait quelque chose à foutre.
Et punaise ça dure 1h40 ce truc. Le concept de nanar plus ou moins volontaire y montre vite ses limites: le pitch ChatGPTesque (et le budget ridicule) est finalement le même que celui d'un inepte Sharknado (y en a qui aiment vu le carton que ça a fait, moi ça me laisse de glace), à ceci près que la tornade a été remplacée par des nazis. Douce ironie, ces films ne font pas mieux que les péloches poisseuses improbables et volontiers indéfendables dont ils "s'inspirent". Ils font même allégrement pires.
Ah, enfin, au bout d'une grosse heure de rompiche, voila la grosse scène finale bien golmon! Bah voila, c'est comme la 1ere scène du film en fait, avec 2-3 idées gore qui, hélas, sentent le plagiat même pas de la dernière fraicheur: genre les passagers découpés au câble d'acier comme dans le Vaisseau de l'Angoisse...
Bref, sur 1h40 de film qui s'appelle Requins Volants, bah y a 10mn de requins volants, et j'ai souri 3 fois. Une arnaque légale de plus dans le monde du nanar contemporain à la Asylum, et ce n'est pas le générique final à base de metal et de D.A.F en mode "regarde-moi comme j'suis trop cool" qui y changera quelque chose.
A ne recommander qu'aux amateurs de philosophie de l'esthétique et d'histoire de l'art, pour qu'ils puissent avoir un aperçu de ce qu'est la Laideur chimiquement pure.