Attention ça va spoiler les amis !

James Bond, 50 ans, 23 films au compteur. Le filon Ian Fleming est définitivement épuisé, après le sursaut Casino Royale, probablement le meilleur Bond depuis des décennies, il n'y a pas de hasard. Et pourtant... un bon scénario ne constitue pas forcément l'élément indispensable pour un Bond movie de qualité. Qui se rappelle de l'intrigue de Bons baisers de Russie, pourtant considéré, à juste titre, comme un des tout meilleurs ? Et si on se remémore vaguement celle de Goldfinger c'est sans doute parce qu'elle s'articule autour d'une simple histoire de casse, certes complètement mégalo, mais finalement assez éloignée des habituels scénarios d'espionnage fantaisiste qui caractérisent la grande majorité des films de l'Âge d'or bondien.

Donc, Skyfall, après l'illisible Quantum of Solace. Signe que la franchise ne sait plus quoi faire pour se remettre à flots : le Bond interprété par Craig est presque considéré comme grabataire alors que le comédien n'incarne le personnage que depuis trois épisodes et que l'entreprise de reboot de la série n'est même pas encore achevé. Oubliez les tentatives de faire ressusciter le SPECTRE — sans le nommer, pour une malencontreuse question de droits — dans les deux chapitres précédents. Cet arc narratif est mis en suspens, peut-être définitivement abandonné, on n'est pas à l'abri. Remplacé par une histoire de vengeance franchement simplette : Javier Bardem, déguisé en Renato de Le Cage aux folles veut prendre sa revanche sur M, méchante maman à deux doigts de la retraite, pirate les ordinateurs du MI6 avec deux laptops dans une usine désaffectée, dévoile l'identité des agents british infiltrés chez les terroristes, et fait tout péter parce qu'il est très fâché.

Bon. On n'y croit pas trop, mais finalement, on s'en fout un peu : d'ici quelques temps on aura, une fois de plus, tout oublié. Bien que peu crédible, le bad guy efféminé aux mains baladeuses interprété par Bardem est une figure indubitablement marquante, prouvant qu'un bon James Bond peut parfois se contenter d'imposer un bon méchant pour fonctionner à peu près. Ce qui est intéressant, finalement, c'est la manière dont Mendes essaye de coller aux canons de la série, reprendre le rythme lancinant, on peut même dire un peu chiant, ce côté carte postale de luxe qui avait été abandonné par Quantum of Solace, trop préoccupé à moderniser la série en reprenant maladroitement les codes des Jason Bourne.

Du coup, la première partie du film est assez belle, assez majestueuse, et ressemble à une sorte d'enterrement en grandes pompes du personnage incarné par Craig, prématurément usé, et dépassé par des adversaires et des collègues beaucoup plus à l'aise dans un monde high-tech. À la fois crépusculaire et lumineux, magnifiquement réalisé et photographié, Skyfall ressemble à une très belle cérémonie de fin de règne, une sorte de joli devoir d'inventaire, avant de dérailler complètement à mi-parcours et de passer à autre chose, un jeu du chat et de la série qui doit autant aux blockbusters d'action des années 80 qu'à la série B paranoïaque des années 90, avant d'aller se perdre en Écosse et se transformer en Rio Bravo gothique, en Chiens de paille à gros budget. Du point de vue de l'intrigue c'est incroyablement casse-gueule, mais entre splendeur visuelle et audace narrative, le film fait très vite oublier ses petites faiblesses scénaristiques.

Le final très amer rappelle que le Bond interprété par Craig se distingue de ses prédécesseurs par une surprenante tendance à l'incompétence. Incapable de sauver les gens qu'il doit protéger et de maintenir en vie ceux dont il doit soutirer des informations, ce Bond-là est, depuis le début, un personnage frondeur dont l'impulsivité, plus ou moins canalisée par M, matriarche à la fois sévère et affectueuse, ne peut mener qu'à sa perte. Étrangement, cet échec flagrant permet au film de réaliser une pirouette finale assez mal amenée mais relativement logique : un juste retour aux fondamentaux de la série à l'époque où celle-ci était encore à son apogée, entre les années 60 et les années 80, dans un petit bureau obsolète, avec son patron grand-papa et sa secrétaire adepte du flirt platonique. La boucle est bouclée. Reste à savoir si elle ne mène pas, une fois de plus, à une impasse.
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le 3 nov. 2012

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L'Ami Ricofruit

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