Skyfall : la résurrection James Bond ?
Après Casino Royale en 2006 et Quantum of Solace en 2008, voici Skyfall pour lequel l’acteur Daniel Craig rempile pour la troisième fois consécutive dans le rôle de l’agent 007 et Sam Mendes, le réalisateur des Noces Rebelles, des Sentiers de la Perdition et d’American Beauty, hérite de la réalisation. Jusque là rien de neuf et d’exceptionnel. Et pourtant, beaucoup laissent à penser que Skyfall serait « le meilleur James Bond ». Une formule définitive assénée à des millions de spectacteurs pour la promotion du 23ème James Bond, qui fête cette année ses 50 ans de bons et loyaux services « au service secret de sa majesté ». Devant une telle franchise que l’on pourraît qualifiée d »immortelle », et dont l’auteur de ces lignes reste très sceptique sur les raisons d’une telle longévité au cinéma, quel crédit peut-on accorder à un tel slogan ? Pure promo ou critique sincère d’une franchise en plein renouveau ?
Le Joker Javier Bardem
Commençons par l’attraction du film, le « méchant » magistral de Skyfall en la personne de l’acteur espagnol Javier Bardem (Biutiful, Mar adentro). Il est le point fort du film. Entre théâtralité, cabotinage volontaire et mégalomanie grotesque, le personnage de Silva offre à Bardem un rôle à sa démesure qui n’est pas sans rappeler sa composition hallucinée dans No Country for Old Men des frères Coen, où il jouait déjà un méchant mémorable.
Sam Mendes convoque le cinéma de Christopher Nolan pour offrir à Bardem un personnage proche de celui du Joker (Heath Ledger) de The Dark Knight. Comment ne pas voir dans le rire de démence de Silva une émanation du Joker de Nolan. Fou incontrôlable, anarchiste terroriste, il n’a qu’un seul but : le chaos. Ironie du sort, Bardem, en clown facétieux et terrifiant, s’empare du film et contrebalance avec la fadeur du monolithique Daniel Craig (James Bond), dont la normalité convenue en fait un héros effacé malgré lui. On dit qu’un film est réussi si son méchant l’est aussi, Skyfall est peut-être l’exception qui confirme la règle tant Silba/Bardem vampirise le film à lui seul dès son apparition à mi-parcours.
Féminin ou Masculin ?
Les James-Bond girls n’y survivent pas non plus. Pauvre Bérénice Marlohe, dont le rôle de Séverine n’est rien d’autre qu’une figure imposée de femme-objet, ultra-glamour mais parfaitement inutile. Naomie Harris s’en sort mieux en agent Eve frondeuse et même attachante dans un mano à mano avec sur le fil du rasoir avec Bond dans une chambre d’hôtel. On reste tout de même très loin du mythe de la James Bond girl façonnée par les maginifiques Ursula Andress dans Dr. No ou plus récemment Eva Green dans l’excellent Casino Royale.
Sous l’influence de Sam Mendes, Skyfall présente un univers à dominante masculine où le personnage de M (Judi Dench) est d’un côté l’objet de vengeance d’un méchant obsessionnel et de l’autre la figure maternelle quasi-oedipienne d’un James Bond en mal de repères. Sans pour autant parler de James Bond Girl à part entière, M est le personnage féminin central du film, clef de voûte autour de laquelle les figures masculines gravitent et s’entrechoquent. Le personnage de M impacte tellement son evironnement que Skyfall prend par moment faux-airs de spin-off à la gloire du directeur du MI-6. Si la relation reste platonique entre Bond et M, combien de femmes ayant partagé le lit de Bond peuvent s’enorgueillir d’avoir fait pleurer l’agent secret ? Très peu à l’évidence.
Résurrection
Certes, Skyfall apparaît comme une pièce maîtresse de la saga en raison d’un événement majeur, qui survient à la toute fin du film. Une situation prévisible mais qui confirme les intentions du réalisateur de donner un nouveau départ au personnage de 007. James Bond disparaît pour mieux renaitre de ses cendres par la suite. En s’empare du mythe Bondien, Mendes explore la dimension christique de James Bond et organise la « résurrection » de son personnage, affaibli depuis l’échec de Quantum of Solace. On ne peut s’empêcher à nouveau de faire le parallèle entre la « vision Bondienne » de Sam Mendes et la trilogie du chevalier noir de Christopher Nolan. Comme le Bruce Wayne/Batman de The Dark Knight Rises, le Bond de Skyfall disparaît pour mieux réapparaître.
L’enjeu pour Mendes est double : pour ramener à la vie son personnage, il impose à 007 le rôle du paria de l’agent fantômatique totalement déraciné, écarté, replié sur soi, et aux facultés physiques et mentales amoindries. Le récit d’un chemin de croix, dont la « nouveauté », reflet de l’audace narrative des scénaristes, rebat un peu les cartes de cet univers ultra-codifié et balisé qu’est depuis toujours la saga James Bond. La psychologie freudienne s’invite dans ce Skyfall, qui opère un « retour aux sources » salvateur pour 007 mais attendu pour le spectateur, gavé de préquelles en tous genres revesitant avec plus ou moins de succès la genèse de ses mythes cinématographiques. Skyfall n’échappe pas à cette mode de vouloir combler à tout pris les zones d’ombres de ses héros de cinéma en sondant leur âme, en scrutant leurs fêlures passées quitte à sacrifier le charme du mystère qui entoure leurs origines.
Retour aux origines
Et ce retour aux sources opère un voyage dans le temps vers le Bond des origines à commencer par son générique écrit et interprété par la chanteuse Adele. Accompagnée d’un orchestre classique composé de 77 musiciens, Adele (Voir ici) renoue avec l’élégance des plus grands thèmes Bondiens comme ceux de Shirley Bassey (Goldfinger) et Nancy Sinatra (On ne vit que deux fois). Passée cette ouverture réussie, Skyfall s’amuse à multiplier les clins d’oeil malicieux à l’âge d’or de James Bond. Quand le nouveau Q (Ben Whishaw), sorte de geek à lunettes à peine sorti des couches de sa mère, confie à Bond en guise de gadgets une simple arme et une radio miniature, 007 s’étonne lui-même du manque d’ »originalité » et de sophistication de ses nouveaux « jouets ». Et cette scène où M, escortée par Bond dans sa légendaire Aston Martin, se plaint du manque de confort de son siège passager.
Au final, pourquoi ce besoin de revenir aux origines du mythe Bondien après 23 épisodes ? Tuer le héros pour en créer un nouveau, mais lequel ? « L’ancien » Bond était-il devenu un héros trop insaisissable, trop « simple » pour un public toujours plus exigeant ? Où bien trahissait-il tout simplement un manque d’étoffe et d’envergure certain, inscrit dans la matrice originel du personnage créé il y a de celà 50 ans par le romancier britannique Ian Fleming. Je sais bien que cette provocation que j’assume pleinement m’attirera les foudres des fans de la première heure James Bond. Mais ce besoin incessant de redonner un nouveau souffle à chaque épisode de la saga n’est-il pas le signe d’une « mort programmée » d’un personnage en fin de vie ? Skyfall est-il le chant du cygne ou bien l’annonce d’un nouveau départ, Sam Mendes s’est-il amusé à faire du neuf avec du vieux ? Il est encore trot tôt pour le dire mais en tous les cas, la tâche sera rude pour le prochain réalisateur qui ne pourra faire l’impasse sur les changements amorcés dans Skyfall.