- Do you expect me to talk ? - No Mr Bond, I expect you to make more movies like Skyfall !
James Bond a 50 ans. Un demi-siècle que l’espion Britannique nous livre ses aventures au sein d’une des licences les plus cultes du cinéma, qui a connu ses hauts comme ses bas. La saga a connu bien des changements, à commencer par tous les acteurs qui ont endossé le smoking de 007. L’arrivée de Daniel Craig aura, le blondinet ténébreux, aura créé de grosses divergences auprès des fans. Moi-même peu convaincu, il m’aura fallu du temps pour l’accepter, et comprendre à terme qu’il apporte une pierre colossale à son personnage, et ce même malgré la médiocrité de Quantum of Solace. L’heure est à l’anniversaire en grande pompe, et l’invité d’honneur est Sam Mendes. Le réalisateur venu de la génération des esthètes, mais provenant à la base du théâtre Britannique, livre son travail tant attendu. Vu l’engouement autour du film, autant dire qu’il n’a pas le droit à l’erreur. Verdict ?
Parlons peu, parlons bien : Skyfall est un des meilleurs James Bond de la saga. J’entends çà et là le meilleur, là ça se jouera sur les préférences personnelles de chacun, mais il est en droit de prétendre à ce titre. Pour les 50 ans de 007, il fallait marquer le coup, et offrir une histoire digne de ce nom. Loin de l’intrigue de Quantum of Solace, qui réduisait finalement James Bond à un bon samaritain, l’idée est ici de l’employer à nouveau pour sa mission première : la sécurité Nationale. Skyfall innove mais aussi ré-utilise des principes scénaristiques de la saga, tout en les poussant largement plus loin. De ce fait, Skyfall parvient à se créer une identité propre qui est marqué par un MI-6 acculé par une menace venue de l’intérieur. Et parfois, à force d’être acculé, on finit par céder, par exploser totalement. « Everyone has a breaking point » exposait Sam Peckinpah dans Straw Dogs (car oui, Straw Dogs est une des grosses influences du film, et pas que pour le final). Rarement James aura été plus terre à terre que tel qu’il est décrit dans les romans de Fleming, même si l’idée est aussi de recréer une passerelle vers l’époque dite « classique ». L’occasion rêvée de contenter tout le monde tout est étant foutrement efficace, et sans faire de concessions. Mais par le mélange explosif d’ingrédients bien pensés, Skyfall amène également Bond dans le drame, au sein d’un passé qu’on a toujours voulu connaitre, sans néanmoins trop en dire. Quant au reste, on se délectera des petites références glissées à droite et à gauche, sous des degrés de subtilité différents.
Passé une scène d’intro efficace, qui d’emblée dès le premier plan nous fait comprendre la virtuosité de Sam Mendes (qui arrive d’ailleurs à filmer fort bien une scène d’action dans Istanbul, n’est-ce pas monsieur Mégaton), c’est le générique qui pose aussi rapidement les bases de la réussite du film. Si Casino Royale avait un générique bien stylisé mais aussi innovant (adieu les nanas...), et Quantum of Solace un générique pas inspiré, moche, mal rythmé, et affublé d’une musique hors-propos, Skyfall renoue avec le passé tout en assumant son statut de James Bond moderne. J’avais exprès évité d’écouter la musique d’Adele pour mieux la découvrir en salle, afin de constater qu’en effet, elle sied fort au métrage.
L’intelligence de Sam Mendes pour Skyfall (et l’intelligence de la production de l’avoir choisi), c’est d’avoir compris que l’action filmée de manière pensée et posée pouvait également très bien marcher, là où Marc Forster se plantait complètement en voulant imiter Paul Greengrass, mais sans la maitrise. James Bond n’est pas Jason Bourne, de toute façon. On se réjouira donc d’avoir un découpage foutrement bien pensé qui au-delà de proposer de l’action lisible, la propose sous un angle assez virtuose. Alternant plans posés/fixes et caméra virevoltante grâce à une superbe maitrise du steadicam, Mendes prend la peine de faire durer ses plans. Il n’est donc pas étonnant de retrouver des plans assez longs qui proposent un ballet cinématographique d’une élégance rare au sein d’un film d’action. Mendes se paie même le plaisir d’offrir de la vraie pyrotechnie, comme au bon vieux temps. Le tout se retrouvant couplé à des choix de composition et de focales jouant brillamment sur une domination totale des aspects géométriques de l’image. Image, ai-je parlé d’image ? Diantre, je vais devoir parler véritablement de l’image. Il faut comprendre par ces mots qu’il va m’être bien difficile de résumer le travail de Roger Deakins comme il le mérite.
Si Skyfall marque, et là je vais être très clair, c’est car il offre probablement la meilleure direction photo de toute la saga. Et allez, soyons fous : la meilleure direction photo de l’année. Roger Deakins (qui est notamment le directeur photo des frères Coen) travaille sa photo d’une manière assez exceptionnelle. Au sein des plans, je dirais qu’elle est pensée en 3D. En effet, dans la gestion des lumières, il est assez flagrant de constater à quel point Deakins travaille avec aisance la profondeur et le relief de l’image. Chaque début de séquence est marqué par un travail photo pour créer l’environnement qui ne laisse pas indifférent. Honnêtement, je pourrais passer des paragraphes et des paragraphes à énumérer les qualités de cette direction photo au sein des différents univers visuels du film. Pour plus de clarté, je me contenterais simplement d’un « c’est dingue, quoi ». Deakins est-il la cerise sur le gâteau par rapport à la réalisation de Mendes ? Non, c’est encore un autre gâteau qui s’empile par-dessus. Au moins.
Sur le reste de la réalisation, on pourra savourer tranquillement la musique efficace composée par Thomas Newman qui est utilisée avec intelligence au sein du film. Parfois extrêmement présente (mais ça n’est pas un défaut, car la saga a toujours été très « musicale » lors de certaines séquences d’action), elle sait se faire discrète, voire se taire complètement, lorsque l’enjeu dramatique le demande. La seule réserve que j’émettrais de ce côté-là concerne le mixage global du film, un peu trop clair dans ses aigües, trop métallique. Si d’un côté on peut être réjouit qu’à l’époque du bombardement de basses imposé par Christopher Nolan et Hans Zimmer, on nous serve quelque chose de moins indigeste, là c’est peut-être trop prononcé. Enfin j’avoue chipoter un peu.
Si la saga de l’agent britannique est aussi populaire, c’est aussi grâce à ses personnages, et grâce aux acteurs les interprétant. J’ai cru comprendre que Skyfall serait le dernier rôle pour Judi Dench : voilà une belle occasion de lui offrir un superbe rôle d’adieu, où M n’est plus un simple satellite de Bond. Le reste du cast’ s’en sort avec les honneurs, et nécessairement Craig y développe encore plus formidablement son personnage. On pourra toujours dire que Javier Bardem est un tantinet sous exploité, alors que pourtant il a de quoi être intéressant (et pas que par sa coupe de cheveux). Seul Q me laisse de marbre, mais bon... J’imagine qu’il faudra peut-être un temps d’adaptation. Dans la mesure où il ne m’a pas dérangé plus que cela, ça n’est pas un drame.
Skyfall met donc les points sur les I en ce qui concerne la saga James Bond, mais aussi le cinéma d’action en général. La question qu’on se posera dans les mois (ou années ?) à venir, c’est quel réalisateur pourra surmonter la tâche de délivrer un nouvel opus ne serait-ce qu’honnête, après le nouveau standard imposé par Mendes (et qui avait déjà été bien boosté par Campbell). Personnellement, je convoite secrètement David Fincher. En ce qui concerne Mendes, le bougre entre chez les grands en défonçant la porte d’entrée, qu’il avait déjà bien entamée avec le reste de sa (très belle) carrière.