Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres: Aujourd'hui, je n'ai fait qu'entendre à quel point mon service était devenu obsolète. 'Pourquoi faut-il des agents? La section double zéro n'est-elle pas un peu désuète?' Je n'ai, semble-t-il, pas le même monde sous les yeux que vous. Car le monde que je vois, en vérité, me fait très peur. J'ai peur car nos ennemis n'existent sur aucune carte. Nous ne savons plus à qui nous avons affaire. Ce ne sont plus des nations, ce sont des individus. Regardez autour de vous: QUI craignez-vous? Distinguez-vous un visage, un uniforme, un drapeau? Non, notre monde n'est pas plus transparent, mais plus opaque. Il se cache dans l'Ombre! C'est donc là que nous devons nous battre! Alors, posez-vous cette question, avant de nous déclarer bon pour le rebus: vous sentez-vous tellement A L'ABRIS ?!"
Pas facile de travailler avec un personnage qualifié d' "has been", et qu'il a déjà fallu dépoussiérer à plusieurs reprises. Pour Sam Mendes et John Logan, qui devaient proposer du neuf, il ne restait pas beaucoup de possibilités, à part traiter le passé de 007. En effet, cet aspet avait déjà été évoqué dans Au service secret de..., Goldeneye ou Le monde ne suffit pas. Au vu du personnage assez trouble et ambigu, l'idée semblait pertinente. (Surtout que la mode de l'orphelin héroïque broyant du noir battait son plein dans la culture pop, tant du coté des super-héros que de la fantasy!).
Sauf qu'il y a un écueil, à savoir Bond lui-même. Car l'espion britannique est désormais associé à la bonne humeur, à une capacité de se sortir de situations mortelles in extremis, en se riant du sort. Comment travailler la profondeur d'un tel superhéros sans trahir ses fans? Réponse: le discours métatextuel. En effet, Skyfall prend le parti pris d'être moins un pur James Bond qu'un essai sur James Bond. Si la saga avait déjà procédé de la sorte par le passé, en faisant des références ci et là, Mendes va encore plus loin en assumant d'avantage le coté mise en abîme et film introspectif. A l'instar de ce superbe plan sur la lande écossaise totalement repompé du tableau " Un voyageur contemplant une mer de nuages". On peut voir dans ce fameux plan un presque aveu: il est impossible d'accrocher à la psychologie d'un tel personnage sans en faire un étranger vis-à-vis du monde et de lui-même. 007 sera toujours l'incarnation d'une Grande-Bretagne sublimée, et Bond toujours ce personnage insaisisable, source de tous les fantasmes. Comme le dit M: "Ce que nous sommes, nous le sommes!"
J'aurai une dernière chose à dire: feu mon mari était un grand amateur de poésie. Cela... A un peu déteint sur mes goûts- à mon corps défendant, je dois l'avouer! Et en ces lieux, aujourd"hui, il me revient quelque chose... De Tennyson, je crois: Si nous ne sommes plus cette force Qui jadis remua Ciel et Terre; Ce que nous sommes, nous le sommes! Des coeurs héroïques d'une même trempe. Affaiblis par le temps qui passe et la fatalité Mais forts la volonté De lutter, d'explorer, de découvrir et ne rien posséder.