Toujours de retour, toujours présent

"Everybody needs a hobby
-What's yours ?
-Ressurection"
N'est-ce pas ce qu'a fait James Bond depuis cinquante ans ? N'est-ce pas ce qu'il fait dès le début du film dans une scène qui ne peut être prise que purement de manière symbolique, où il tombe dans l'eau, symbole de mort et de résurrection, tirée (et sauvée ?) par la main d'une Dame du Lac moderne ? Avec chaque acteur, à chaque problème juridique, chaque destruction de plateau, chaque changement d'époque et après n'avoir plus de romans d'Ian Fleming à se mettre sous la dent, adaptant alors des morceaux de nouvelles, recyclant les romans ? En un mot, le personnage résume lui-même la carrière des milliers de personnes à avoir travaillé pour sa continuité. Une déclaration de force et de permanence. D'ailleurs, le film rend constamment hommage au passé, par le biais de différentes touches et allusions, jusqu'à nous présenter la généalogie du personnage principal et même la demeure de son enfance.

La célébration de cinquante ans de films : Retour au Meilleur des Bonds

Les clins d'œil continuent dans la tradition Bondienne avec Modigliani et Turner qui sont mis à l'honneur. La référence à la peinture était présente dès le premier film avec le Goya volée dans Dr. No. Et surtout pour ceux familiers avec les sources et les interprétations du personnage, ils reconnaîtront toute l'astuce de la production dans la scène ou M doit se justifier devant une commission. Elle termine en effet son intervention en citant Tennyson. L'extrait qu'elle cite est tiré du poème nommé Ulysse. Il se trouve que Bond est depuis longtemps comparé à Saint-Georges ou à … Ulysse. En effet, il doit faire face à des tas d'embûches en utilisant sa force et davantage sa mètis pour rejoindre la femme qui l'attend en fin de parcours. Ce parallèle est le plus évident dans le film l'Espion qui m'Aimait. (←-- voir ma critique en cliquant sur le lien hypertexte :))
Dans une discussion devant une toile de Turner à la National Gallery, 007 parle directement du livre Le Meilleur des Mondes en citant son titre. Il révèle ainsi subtilement la suite de l'intrigue et autour de quoi elle tourne. On assiste ici à un possible changement de paradigme mondial ou la Grande-Bretagne et les états en général doivent se redéfinir et se poser la question de leur pertinence, de leur force face à un fédéralisme marchant qui se confond parfois avec un certain impérialisme ploutocratique.
Une nouvelle fois, la saga concilie politique et aventures, sexualité, art et ésotérisme. Quel autre film d'action ou d'espionnage fait autant référence à des œuvres artistiques ? Et pose des questions politiques au milieu d'un feu d'artifice d'action et d'érotisme ?

Un méchant explosif, des journalistes exp(l)osés

Le vilain est interprété avec bonheur par Javier Bardem qui a droit lui-même à faire ses propres allusions, avec la métaphore musicale filée de l'explosion : Boom boom boom des Animals, qui reprennent John Lee Hooker, fait suite à Mon Cœur fait Boom de Charles Trenet pendant deux de ses apparitions. Et ceci renvoie à l'explosion finale ! Toujours à propos de l'opposant de Bond, Silva, le scénario s'amuse et la scène de leur rencontre, répond à tous et spécialement aux paparazzi envahissants qui se demandait si Daniel Craig était gay. Apparemment, on ne peut plus boire une bière avec des amis tranquillement, sans être jugé de nos jours par des gens fort licencieux semble-t-il. Peut-être aussi parce que depuis Casino Royale, Daniel Craig est devenu une icône gay.
Entre Silva et Bond, il y a une relation un peu comme entre Cain et Abel ou Romulus et Remus avec La Louve qui les a tous les deux nourri. Ils ont poussé la logique jusqu'au bout. D'ailleurs M = Mother = signature de la Reine à John Dee, son espion, qui signait 007. On revient en plus poussé, en plus explicite, à la thématique de Goldeneye.
Quant à la James Bond Girl (ou faut-il dire Woman de nos jours ?), il s'agit de la délicieuse Bérénice Marlohe, coup de génie du casting. On la voit peu, mais suffisamment pour être fasciné.
En revanche, concernant le pré-générique, il ne restera pas dans les mémoires. C'est un genre de melting pot de plusieurs scènes d'action. Agréable sans être marquant. Juste à la suite de celui-ci, le générique quant à lui nous livre le beau travail de Daniel Kleinman, tout en suggestion, soutenue par la belle mélodie de la chanson d'Adèle. Cela faisant longtemps qu'une chanson n'était pas autant en osmose avec le générique et l'esprit de la saga elle-même.

Le superflu, mal de ce siècle cinématographique

Le film comporte son lot d'incohérence ou voir de questionnement : je ne parle pas ici du fait que tout le monde dans le film sait qui est James Bond, c'est le cas depuis des décennies, c'est même devenu un genre de blague filée. La référence est à voir du côté tout d'abord du formalisme de Sam Mendes. La scène la plus criante est celle de l'arrivée de Bond à Macao, debout sur une barge avec des feux d'artifices en fond. Aucune raison de se tenir debout sur cette barge et surtout que viennent faire ces feux d'artifices ? Du côté du scénario, il y a aussi des éléments qui peuvent faire lever les sourcils : qu'est-il arrivé à la liste d'agents de l'OTAN ? À la fin du film, on n'en sait rien. On comprend pourquoi la production a éconduit le scénariste pour le remplacer pour les deux opus suivants. Sans oublier que 007 emmène sa supérieure hiérarchique quasiment de force dans un coin perdu d'Écosse et que pour finir, elle se fait tuer sans que personne trouve à y redire sur le mode opératoire utilisé. Aurait-elle survécu en restant à Londres ? Moneypenny, avec le sourire, lui ramène même une affaire de la défunte à la fin ! Justement, un mot à propos du fait que cette dernière soit devenue un agent de terrain : c'est inutile. Avoir mis n'importe quel autre véritable 00, y compris une femme, aurait été plus cohérent. Ils auraient pu même en profiter pour faire un clin d'œil à un autre film de la saga.
D'ailleurs, c'est l'épisode de 007 du superflu. Chose curieuse puisque Silva lui-même déclare à Bond que tout ce qui est superflu, il le jette ! On doit sûrement cela au côté esthétisant de Sam Mendes. Pourtant, Javier Bardem livre une prestation en humour et désinvolture. Il y ajoute de la rage, montre un homme blessé émotionnellement par celle qu'il prend pour sa mère. Ce qui fait qu'il force James Bond à être son frère par alliance… professionnelle.
Son comparse Thomas Newman à la musique livre une composition correcte d'où émerge un morceau, celui nommé "Tennyson" qui souligne l'impact émotionnel de la scène de la commission ou M fait son discours sur la question politique centrale du film.

Bond face au monde de l'ombre

Il faut rendre hommage au fait que la saga James Bond est la seule saga de cette envergure à pointer les relations troubles entre les gouvernants et les groupes privés, les états entre eux et les différents liens douteux entre tout ce beau monde. Mazarin n'est pas mort. En effet, ce travail a commencé avec le rapprochement d'agents anglais et russes dans L'Espion Qui M'Aimait. Puis la critique politique a commencé légèrement avec Rien que Pour vos Yeux, avec une intrigue terre à terre qui met en jeu des privés se battant les uns contre les autres, l'un allié des Britanniques, l'autre des Russes. Ce n'était déjà plus une question d'idéologie, mais d'argent. Les deux films avec Timothy Dalton ont continué dans la même veine, en explorant le versant des narcotrafiquants. Si Goldeneye avait mis en suspens le processus (même si on parlait quand même d'une affaire de fusillade par les Anglais), Demain Ne Meurt Jamais passe la vitesse supérieure en établissant clairement que les médias se jouent des pays, que certains hommes d'affaires puissants le deviennent et trouvent des alliés dans les pays en question. Depuis, tous les films de James Bond ont poursuivi cette mission, à chaque fois en faisant allusion à un autre évènement : menace de la Corée du Nord par un officier de haut rang éduqué dans le système occidental, profit financier grâce à un délit (d'attentat) d'initié au moment du 11 septembre, guerre de l'eau des Boliviens contre Bechtel et enfin dans Skyfall, piratage de masse et questionnement sur l'utilité des services secrets, de renseignement et de leur utilisation. Le thème de la démocratie et de la patrie est frontalement abordé ici, même si c'est parfois par le biais de l'humour.

Conclusion

En dernier lieu, malgré une patine occasionnellement esthétisante, une audace pas toujours utile, c'est une grande cuvée que ce nouvel épisode des aventures de 007. Les thèmes sont intéressants, les clins d'œil subtils, les allusions fines au milieu d'un tonnerre d'explosions, de scènes d'actions trépidantes, sans oublier le charme d'une Bond Girl à la beauté insaisissable, même si nous ne la voyons que trop brièvement. D'ailleurs, le final n'est pas celui d'un Bond habituel où le masculin retrouve le féminin pour finir, mais plutôt celui où Bond, ayant exploré son passé, retrouve une (nouvelle) identité. Un film qui tombe des cieux.

Fiuza
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le 28 nov. 2015

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